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9 octobre 2009 5 09 /10 /octobre /2009 12:51

Il me revient à présent de réfléchir encore sur ces journées de congrès : trois journées de traduction simultanée sans appareil de retranscription, donc dans la proximité, trois journées d'accompagnement, trois journées de débats, de questionnements, de rencontres, trois journées chaleureuses.

Naturellement, ces journées ont pris sens pour moi à partir de la personnalité d'Ed. et à partir de la présence à ses côtés de sa famille. La question qu'il m'incombe à présent de me poser est celle de ce que j'ai personnellement perçu du congrès et de l'activité de l'Association Buchenwald-Dora.

                                                              Un policier français, Edward et son gendre
Premier constat : celui de rencontres nombreuses et chaleureuses. Toutes les personnes présentent étaient impliquées personnellement dans l'histoire de la déportation : soit qu'elles avaient un membre de leur famille qui avait été déporté, soit qu'elles-mêmes avaient connu l'univers concentrationnaire.

De façon générale et pour revenir sur le sentiment de joie qui était là présent, je dois dire que je n'ai pas perçu d'obscurité, de tristesse, de lamentation. Tout cela était absent alors que pourtant je m'étais attendu à un certain sérieux, une certaine gravité. Je n'avais pas osé emmené des vêtements trop colorés et j'avais opté pour le noir et blanc ou le violet foncé classiques discrets, enfin je l'espère.

Tout ceci m'a permis d'observer un phénomène de groupe qui concerne la tonalité partagée et qui indique elle-même que le sens n'a aucune ambiguïté : il se vit, en commun, de façon unanime. Aussi importe-t-il de consulter ceux et celles qui sont d'abord concernés par l'écriture de l'histoire. On a évoqué, dans le congrès la notion de "mémoire partagée", qui, si j'ai bien compris implique un partage, de part et d'autre de la frontière et des affrontements, d'une même histoire, des mêmes souffrances, la reconnaissance des peuples unanimement victimes de la barbarie. Cela dit un tortionnaire nazi ni même un collabo français ne saurait partager le rôle de victime avec celui ou de celle qu'il a fait souffrir ou mené à la torture : le partage s'arrête là où commence la responsabilité. Un barbare reste un barbare. Les allemands font sans doute moins de concessions que nous et je pense au traitement réservé à Heidegger (1889-1976) à Fribourg.

Et ceci, naturellement me ramène invariablement à mon sujet de thèse (soutenue en 2007). Heidegger avait d'abord accueilli avec ferveur le nazisme, en 1933. Il fallait travailler sur les valeurs, retrouver l'authenticité de l'origine pour permettre un dépassement de la crise des valeurs, et pour lui, le programme politique a d'abord paru s'assimiler à un programme métaphysique. Mais en 1934, il démissionne de ses fonctions quand le ministère nazi lui impose de fermer la porte de l'université de Fribourg dont il est le recteur, aux juifs. Les Fribourgeois ne lui ont pas pardonné son engagement initial et le font figurer, dans un petit musée sur l'Université, parmi les figures éminentes du nazisme avec un "bel" insigne nazi. La presse à scandales française, quant à elle, se fait, naturellement beaucoup d'argent grâce à cette Erreur de jugement quand bien même Heidegger affichait sa désapprobation vis à vis du biologisme nazi, ainsi que de sa machinerie qu'il comprenait dans le terme évocateur de "Technique", cette façon de réduire l'être humain à de la logistique. Et le pire, disait-il, c'est que "ça fonctionne".

C'est la France qui assura la réception philosophique de Heidegger et le courant existentialiste est né de sa philosophie. En témoigne le livre de Dominique Janicaud, Heidegger en France. En ce sens Derrida est un philosophe heideggerien.

La notion de dignité mérite d'être questionnée car elle résulte souvent de la volonté de l'humain d'afficher une joie telle que l'on ne va pas chercher l'inquiétude au cœur de sa souffrance. La dignité est un mode d'être, une qualité et la noblesse de l'âme veut que l'on ne dise pas ce qui est éprouvé. Pourquoi en va-t-il ainsi ? Qu'est-ce qui est ainsi refusé par la dignité ? La communauté de souffrance ? L'invitation à l'émoi ? La culture de la tristesse ? Quelque chose, est de toute façon refusé, barré. Il y a négation d'ouverture sur un monde qui pourrait assombrir. Le séjour est aménagée dans joie, dans la lumière. L'existence reste sourire.

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  • : Blog de Cathy Leblanc, professeur en philosophie à l'Institut catholique de Lille. Thèmes de recherche : la barbarie et la déshumanisation, la phénoménologie heideggerienne. Contact : cathy.leblanc2@wanadoo.fr Pas d'utilisation de la partie commentaires pour avis publicitaire svp.
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