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17 mars 2020 2 17 /03 /mars /2020 19:57

            

Nous sommes le 17 mars, jour de la Saint Patrick, le saint Patron des Irlandais. Est-ce pour cette raison que les supermarchés sont littéralement pillés ? Est-ce pour cette raison que dimanche, on s’est battu pour des œufs sur un marché de Roubaix ? Est-ce pour cette raison que des rixes éclatent pour la nourriture ?

Malheureusement non. Depuis quelques jours la vie a changé et change pour la planète entière. Tout se ralentit alors que notre bonne Terre commence à respirer. L’activité des hommes est condamnée à ne plus fourmiller. Les bourses pourraient fermer momentanément.

Nous avions inventé la mondialisation : nous allions acheter des roses d’Israël, mangions des mangues du Pérou, utilisions des batteries chinoises, portions des vêtements fabriqués en Inde par de petites mains… eh bien, tout cela est comme gelé, figé.

Nous sommes obligés de rester à la maison en raison d’un mystérieux virus dont nous ne connaissons pas l’origine. La sentence est tombée hier : « c’est la guerre » a dit le Président en répétant cette formule afin de nous convaincre de la gravité de la situation. Effectivement, nous sommes menacés par une forme de guerre bactériologique qui menaçait déjà, du reste, lors d’épidémies précédentes comme celle du SRAS.

On découvre alors de nouveaux comportements : les gens ont peur. Mais de quoi ont-il peur ? Quelles sont leurs peurs car elles sont plurielles ? Ils ont d’abord peur de manquer de nourriture. C’est pourquoi, hier, lorsque je suis arrivée à mon petit supermarché, beaucoup de rayons avaient été pillés, de même lors des grèves, les gens ayant peur de manquer de carburant allaient faire des réserves abondantes, ce qui ne manquait pas de créer la pénurie.

Pourquoi les gens ont-ils peur ? Tout simplement parce qu’ils vivent dans la dépendance de l’abondance. On peut tout avoir, à toute heure. On consomme plus que l’on ne peut consommer. La grande distribution a très vite eu raison des habitudes des anciens qui réparaient, qui reprisaient, qui raccommodaient. Combien de fois ma grand-mère ne m’a-t-elle pas reprisé mes chaussettes ? C’était une époque où l’on ne jetait pas, pas même les restes alimentaires. On recomposait. La nourriture était sacrée et les poubelles d’une taille très modeste.

Un collègue américain, nommé David Koukal, stupéfait de la quantité de vivres de toutes sortes qui se trouvent dans les poubelles a fait son cours, il y a quelques années sur la phénoménologie de la poubelle.  C’est dire ! Mais on se trouve là aux USA, où le phénomène est bien plus important.

Et avec tous ces petits métiers de la réparation, du retissage, c’est aussi tout un mode de vie qui s’inscrivait dans la patience et l’attention que nous avons mis de côté, mais mis de côté seulement.

La sagesse s’inscrivait dans la patience. Mais avec la consommation facile à bas prix, les gens ont cru qu’il était ridicule d’encore repriser leurs chaussettes. Il valait mieux jeter et acheter. Il ne valait pas la peine d’effectuer ce petit travail pourtant si formateur. Et pourtant, si l’on compare ce que l’on gagne en reprisant une chaussette d’une part, et en prenant la voiture pour aller à l’hypermarché acheter des chaussettes, en ayant soin de la garer où l’on trouve de la place, en allant jusqu’au rayon pour trouver les bonnes chaussettes, en attendant à la caisse pour payer, en reprenant la voiture pour rentrer à la maison, le calcul est pourtant vite fait. Il faut trente minutes pour repriser et une heure trente pour aller au supermarché et rentrer avec le produit.

Et reproduire ce geste du déplacement à l’infini, faire du shopping son activité principale et « facile », cela a complètement déstabilisé nos modes de vie et l’état de notre pauvre planète. Nous avons perdu une forme de spiritualité commune par laquelle nous étions capable de discerner la valeur des choses, d’attendre que le blé pousse et que le grain mûrisse.

Je suis persuadée que la sagesse passe aussi par le travail de la main. Et s’il n’est pas simple d’enseigner la patience aux enfants, l’acquisition de ces petites compétences, de ces petits métiers les amènent à modérer leurs ardeurs et peut-être surtout à découvrir la valeur des choses simples.

Mais quand on a pris l’habitude, depuis des dizaines d’années, de filer au magasin et d’accumuler des surplus de marchandises, on devient fragile. Et les rixes qui eurent lieu ces derniers jours manifestent cette fragilité de la dépendance.

Peut-être sommes face aujourd’hui aux limites de notre modèle ultralibéral et de son indécence. Nous avons peut-être atteint le point de rupture. En témoigne la fermeture imminente des bourses mondiales, et le projet par l’Etat français de re-nationaliser ses grandes entreprises alors qu’on allait même mettre l’aéroport de Paris en vente dans une course frénétique par laquelle tout pouvait être acheté. Le summum dans cette frénésie fut la proposition d’un Donald Trump d’acheter le Groenland.

La crise pousse à une reconfiguration complète de notre modèle qui n’est pas qu’un modèle économique. Depuis une vingtaine d’année, le critère de jugement est celui de l’économie. Tout passe au crible du jugement économique. Tout s’apprécie à l’aune de la valeur économique, de la production. Plus rien ne peut plus, petit à petit, être gratuit.

Aujourd’hui, on est obligé, contraint, forcé de penser autrement. L’événement du covid frappe durement et tragiquement, mais je crois que nous devons attendre un changement fulgurant de notre mode de vie devenu par trop toxique.

Je terminerai par une pensée pour les sans-abris. Car là aussi, l’injonction du « rester chez soi » semble relever de l’indécence. Qu’est-ce que rester chez soi quand on n’a pas de chez soi, quand on a fui la guerre, que l’on se retrouve dans la rue, chassé de toute part ?

 

                                                                                                               Cathy Leblanc

 

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