La question de l’universalité se pose aujourd’hui alors que le débat politique se concentre sur la notion de catégorie. Il convient d’explorer à nouveaux frais le terme « universel » de manière à montrer qu’il existe une très grande gamme de concepts vécus et partagés universellement mais appliqués de façon singulière par les dites catégories. Ce que révèle alors le terme « universel », c’est le partage de l’essence. Ce que montre le particulier, ce sont les formes multiples et disparates que peuvent prendre les concepts universels.
Par exemple, l’amour est un concept universel. Pourtant la relation amoureuse est absolument différente selon que l’on se trouve dans un pays occidental ou oriental, au Nord ou au Sud de la planète. Le code, le langage, les rites, l’impact : tout est différent. Mais on parle bien d’un seul et même concept, un concept universel.
Autre exemple : la peine. On conçoit la peine partout dans le monde. C’est donc un concept universel. Pourtant la manière dont un deuil est vécu est tout sauf semblable que l’on se trouve dans telle ou telle partie du monde, dans telle ou telle société, dans telle ou telle famille aussi. Les formes particulières sont innombrables et variées.
J’en viens au concept qui me préoccupe et qui a fait l’objet d’un dialogue interculturel il y a peu de temps : le pardon. Le pardon est un concept présent partout dans le monde, dans tous les niveaux sociaux. La façon dont on le conçoit et dont on le dispense varie elle aussi en les formes qu’elle prend. Mais l’essence, le concept fait bel et bien partie des concepts universels. Le colloque qui était organisé dernièrement à l’Université Catholique de Lille par l’Association Buchenwald-Dora et Kommandos et la Faculté de Théologie avait pour objectif de montrer cette amplitude universelle et d’explorer la variabilité sémantique du pardon. On a pu ainsi écouter la parole des théologiens qui ont une conception bien particulière du pardon, des philosophes, qui ont proposé une analyse résultant de l’histoire de la pensée (Ricoeur, Jankelevich, Macintyre, etc.), des médecins psychiatres qui ont montré comment se vivait le traumatisme et comment il pouvait se heurter au pardon, puis des personnalités directement impliquées dans la vie de la déportation et qui ont montré de façon plus évidente les risques qui étaient ressentis face à l’idée de pardon. Le questionnaire lancé auprès des déportés a d’ailleurs mis en évidence la perception du risque d’oubli face au pardon bien que certains considèrent le pardon comme nécessaire et s’en explique (cf. Sam Braun aux rencontres de Blois).
En ma qualité de philosophe et par respect de la déontologie relative à ma pratique, j’ai tenu à souligner dès le début du colloque qu’il ne s’agissait pas de prescrire telle ou telle attitude mais que notre enquête visait à comprendre comment l’on peut avoir des théories aussi fermes que celles que l’on trouve dans la parole religieuse d’une part, et des doutes aussi importants que ceux qui émanent des personnes qui ont vécu le pire et qui n’ont pas nécessairement à leur disposition les moyens linguistiques leur permettant de mettre des mots sur ce qu’ils ressentent.
Je suis reconnaissante à la Faculté de Théologie de l'Université Catholique de Lille où j'exerce la profession de "Maître de Conférences en Philosophie" d’avoir pris la peine d’étudier le dossier de demande de soutien que je lui avais adressé et d’avoir accepté de me laisser tenir en ses murs un dialogue à visée interculturelle et strictement interculturelle puisque le pardon est tout sauf exclusivement religieux (ce qui était précisé dans le dossier). Que celui qui le pense se garde à jamais de prononcer le mot « pardon » ou toutes les formules équivalentes qui s’y rapportent. Ces différentes formes ont d’ailleurs fait l’objet d’une analyse minutieuse par un linguiste.
Je suis aussi très reconnaissante aux associations de la confiance qu’elles me témoignent dans le travail que je fais avec elles en vue de lutter contre un renouveau de la barbarie car je suis convaincue que la barbarie ne touche pas que les milieux dits « laïques » et que le message qui vient éclairer les consciences peut valoir pour tout le monde sans exception.
Cathy Leblanc