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7 avril 2011 4 07 /04 /avril /2011 09:40

Au moment où avait lieu le colloque dont nous avons maintenant beaucoup parlé (mais dont le thème est loin d’être épuisé) et qui recevait le soutien de la Mairie de Lille, se tenait à la Mairie un événement qui vient redire tout l’engagement de notre région et de sa capitale dans la lutte contre l’exclusion, contre l’enfreinte de la dignité humaine. En effet, ce vendredi 11 mars, Stéphane Hessel recevait la médaille d’or de la ville de Lille. Ainsi la Voix du Nord consacre-t-elle ce vendredi 11 mars, à la fois une page à l’invitation de Stéphane Hessel en Mairie de Lille et un article bien placé pour le colloque sur le « pardon à l’épreuve de la déportation. »

Que cela signifie-t-il ? Quel sens donner à cette conjonction sinon que les médias comprennent l’urgence de l’engagement et de la lutte contre la xénophobie et toute forme de dégradation humaine.

Qu’est-ce qui est essentiel dans cette lutte ? Stéphane Hessel a fait resurgir un concept-clé : celui de l’indignation. L’indignation désigne notre capacité à réagir face au mal commis sur autrui. L’indignation est une force vive qui permet de ne pas laisser s’installer des pratiques injustes engendrant d’injustes souffrances pour des hommes, des femmes et des enfants en difficulté. L’indignation permet de trouver en soi la force de dire « NON » : « Non, nous ne voulons pas cela et nous ne pouvons pas laisser faire cela. »

Aussi, pour faire référence à des articles plus anciens où je dénonçais l’indifférence vis-à-vis de la pauvreté qui s’installe aujourd’hui très confortablement en France (pardon de ce cynisme), pouvons-nous dire à présent que c’est justement l’indignation et la capacité de se mettre en colère qui permettent de refuser la misère sociale et morale dans laquelle se trouve aujourd’hui plongée toute une partie de la population et cela n’est pas une fatalité.

Nous sommes les enfants et les petits enfants de ceux qui ont vécu le deuxième conflit mondial et ont à travers ce conflit fait l’expérience de la plus ignoble des barbaries qui ait jamais été organisée par l’être humain envers lui-même. Nous avons donc le devoir d’écouter la parole de ceux qui ont ainsi souffert et qui ont été également les témoins de cette violation hors-du commun. Que nous dit cette souffrance ? Cela est essentiel.

Nous avons en nous des trésors d’humanité qu’il convient de cultiver. Je pense par exemple à notre sensibilité. Pour s’indigner il faut savoir se laisser émouvoir et ne pas détourner le regard de ceux qui à même le sol, ne pouvant descendre plus bas, sollicitent quelque chose de nous. Un cri, une demande, l’objet fictif bien qu’indispensable étant l’argent. Mais au-delà de cet objet fictif, on peut entendre ce qui nous est demandé : un effort pour ne pas laisser les choses en cet état.

La grande question est donc : comment faire ? Par l’engagement que l’on met en place et que l’on manifeste, on agit déjà. Donner l’exemple n’est pas une vaine expression. L’exemple s’inscrit dans le champ de ce que tout un chacun peut suivre. Aujourd’hui, il y a souvent confusion entre celui ou celle qui entre dans le champ de l’exemple et celui ou celle qui représente un(e) « people ». Je pense que le contre-pied de l’indignation est l’admiration et qu’il ne saurait y avoir d’indignation sans admiration. J’admire la force morale de Monsieur Hessel et je l’admire d’autant plus qu’il la porte du haut de ses 93 ans ! Je pense que nous avons en sa personne un exemple admirable qui peut nourrir notre esprit et notre âme et ceux des jeunes générations. Je pense aussi que nous avons besoin aujourd’hui, dans nos sociétés occidentales d’un peu plus de prestance et de grandeur et qu’il est de notre devoir d’adultes et d’enseignants de montrer à ces jeunes générations ceux qu’elles peuvent admirer ou le type de personnalité qu’elles peuvent admirer. Non que je souhaite les détourner de leurs idoles mais je pense que les jeunes esprits ont besoin de ré-apprendre l’admiration ou ce type d’admiration là.

Les grandes forces morales –elles sont pourtant nombreuses- de nos sociétés ont besoin d’être entendues et écoutées. L’écoute s’apprend. L’attention s’apprend. Tout cela ne va pas de soi alors que pourtant nous portons cela en nous de façon potentielle et ce grâce à notre sensibilité, notre capacité de sentir de ce qui est bien, ce qui est bon pour tous.

Un débat s’ouvre ainsi sur la morale et son lien avec la sensibilité. Dans le questionnaire lancé auprès des déportés pour le colloque sur le pardon, je leur avais demandé s’ils avaient pu garder intacte leur sensibilité. Les réponses furent extraordinaires. Préservons donc nos sensibilités, notre capacité de ne pas être indifférents, notre capacité aussi de reconnaître.

Je suivrai sur ce point l’admirable ouvrage de Paul Ricoeur. Il fut aussi son dernier ouvrage : Le parcours de la Reconnaissance, publié chez Stock en 2004. Je conseille vivement à chacun la lecture cet ouvrage. Pourquoi donc Paul Ricœur ressentit-il le besoin d’écrire sur la reconnaissance ? D’un point de vue purement épistémologique, l’auteur explique qu’il n’existait pas à ce jour de « théorie de la reconnaissance digne de ce nom. Or cette lacune étonnante fait contraste avec la relative cohérence qui permet au mot lui-même de figurer dans un dictionnaire comme une unité lexicale unique en dépit de la multiplicité de ses acceptions. » Sur le plan social, cette étude arrive à point nommé. En effet pourquoi s’indigne-t-on ou doit-on s’indigner sinon parce que la reconnaissance fondamentale du statut d’égalité n’est pas rendue possible par une conjonction de décisions, ou par l’absence de décisions qui rendrait cependant cette reconnaissance possible ?

En cela la réception de Monsieur Hessel, le vendredi 11 mars, à la Mairie de Lille constitue-t-elle la reconnaissance du bienfondé de son cri : « indignez-vous ». Le soutien de la Mairie de Lille au colloque que j’organisais en tant que membre du conseil d’administration de l’Association Buchenwald-Dora et Kommandos et en tant qu’enseignant-chercheur de l’Université de Lille dite « Université Catholique de Lille » qui renferme aussi le « Centre Culturel Vauban » et qui travaille aussi avec l’ « Université Charles-de-Gaulle-Lille 3 » (sise à Villeneuve d’Ascq, pour le pôle sciences humaines) sur des thématiques communes, constitue la reconnaissance du bienfondé de ce travail. Je me réjouis donc de la vigilance ainsi permise pour faire s’exprimer dans la cité, ce qu’il y a de plus humain en nous : notre volonté de respect des dignités humaines. Je me réjouis de la possibilité d’un travail commun pour développer ce respect.

Cathy Leblanc.

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commentaires

M
<br /> Je me réjouis aussi de cette réflexion commune menée par des personnes d'horizons divers tant par leur lieu d'origine, leur expérience de vie, leurs connaissance et réflexion.<br /> Moi qui suis de culture protestante et de ce fait j'ai entendu dans mon enfance des réflexions peu oecuméniques, j'ai apprécié l'ouverture d'esprit qui animait l'Université catholique comme les<br /> participants au colloque.<br /> Cela a été une grande richesse que de réfléchir ensemble sur les réponses à la barbarie, tel le pardon ou non. Accepter la pauvreté et l'exclusion n'est-ce pas aussi de la barbarie? Alors moi aussi<br /> je m'indigne comme j'admire ce vieux résistant de tous temps qu'est Stéphane Hessel.<br /> Continuons ensemble à réfléchir et lutter contre toute forme de barbarie. Cessons de soupçonner en l'autre ce qui est peut-être en nous, c'est-à-dire la méfiance pour l'autre, "l'étranger".<br /> Marie-France Reboul<br /> <br /> <br />
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  • : Blog de Cathy Leblanc, professeur en philosophie à l'Institut catholique de Lille. Thèmes de recherche : la barbarie et la déshumanisation, la phénoménologie heideggerienne. Contact : cathy.leblanc2@wanadoo.fr Pas d'utilisation de la partie commentaires pour avis publicitaire svp.
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