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14 février 2010 7 14 /02 /février /2010 13:41

La Saint Valentin, en France est la fête des couples plus qu'une fête voulant célébrer l'amour d'autrui, par-delà le couple et les frontières, comme cela est le cas aux Etats-Unis. Pays de l'amour –au moins pour le cliché- oblige, cette pensée de l'altérité est toute monopolisée par le couple français. Pourtant on commence à étendre l'expression de ses souhaits à d'autres personnes, à faire œuvre de sollicitude, de bienveillance, à vouloir être généreux, à reconquérir cette sensibilité sans laquelle nous ne serions pas humain, sans laquelle la dignité humaine ne posséderait la profondeur qui l'honore.

Pourtant, la pauvreté s'accroît de jour en jour et quelle ne fut pas ma surprise la semaine dernière, alors que je me rendais à Lille, de constater la présence d'un grand nombre de sans-abris, épars ici et là, à l'abris d'une voute, à l'abris d'un toit ou exposés au vent froid du Nord Est. J'avais honte : honte que dans ce pays, l'on ne sache pas trouver les moyens de dispenser la charité nécessaire au maintien de la dignité. Moyens financiers mais aussi moyens intellectuels. N'est-on pas capable d'envisager un modèle économique comparable à celui qu'a innové Amartya Sen, pour faire en sorte de déverrouiller le dynamisme économique et l'échange entre les couches sociales ? J'avais honte également parce qu'au delà des solutions politiques et économiques, les passants semblaient souvent se contenir dans l'indifférence en se forgeant de bonnes raisons pour ne pas s'apitoyer, comme si cela constituait une faiblesse et pourtant cette sensibilité qui rend le spectacle de la souffrance insupportable n'est-elle pas cela même qui construit notre humanité. Quand on n'est plus capable de s'apitoyer, de modifier sa trajectoire pour panser un peu cette souffrance, ne laisse-t-on pas entrer en soi un peu du monstrueux qui pave la barbarie ?

Et l'on se demande si la médiatisation de certaines questions ne génère pas elle aussi cette inhumaine barbarie. Je pense en particulier aux ouvriers de Toyota : ils sont présents en masse, à l'usine de Valenciennes ici dans le Nord. On vient d'annoncer en grandes pompes trois rappels et le résultat sera catastrophique économiquement et humainement. Pourtant, on ne se pose pas la question de savoir ce qui se trouve derrière la médiatisation de ce problème industriel ni d'ailleurs quelle ampleur il revêt réellement. Après m'être informée, j'ai appris que le problème de la pédale d'accélération était d'avoir été serrée trop fort si bien que le mouvement n'est pas suffisamment libre. Le moteur ne s'emballe pas ni la pédale mais il y a un léger frottement résultant d'un trop grand serrage sur un très petit nombre de véhicules. Alors si l'on compare la publicité faite à cette histoire, au problème réel, on se demande si l'on a pas été abusé et l'on se demande aussi à qui cela peut profiter. Toyota a dépassé un géant de l'automobile et peut-être sommes-nous alors simplement mais de façon très efficace l'objet d'une manipulation digne de Duplicity : film américain portant sur l'espionnage industriel et la manipulation avec Julia Roberts et Clive Owen. La mauvaise publicité faite à Toyota aura pour effet de faire tomber cette entreprise et le géant en question reprendra sa place. Au-delà de la compétition, des milliers de personnes perdront leur emploi et la pauvreté s'accentuera encore.

Voilà... alors puisqu'on célèbre l'amour aujourd'hui, peut-être devrait-on mettre un peu plus en lumière les enjeux de certains problèmes de manière à protéger ceux qui peuvent encore vivre de leur emploi.

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5 février 2010 5 05 /02 /février /2010 08:26

 

L'opinion publique comprend tout le monde, toutes les personnes dotées ou non de la responsabilité citoyenne. Pourquoi définir l'opinion publique à partir de cet avantage ou de ce manque ? Parce que tout un chacun, dans un ensemble donné et pour autant que cet ensemble soit concerné va recevoir, percevoir et réagir aux discours qui sont diffusés dans la société que nous formons tous. L'opinion publique, c'est donc le voisin d'en face, sa petite sœur handicapée, son oncle qui a plutôt une sensibilité politique d'extrême droite, son cousin militant communiste, ou sa sœur fervente d'Amnesty International. L'opinion publique, c'est la ménagère qui va au marché tous les vendredis pour faire les courses de la semaine, qui rencontre le facteur en route et avec qui elle échange quelques mots à propos de la situation économique qu'elle connaît très bien puisqu'elle écoute la radio ou regarde les informations le soir à l'heure du souper (nous sommes dans le Nord et le repas du soir s'appelle "souper"). L'opinion publique, c'est l'employé de banque qui poliment répond aux clients et qui lui aussi écoute la radio, regarde le soir, avec sa jeune épouse, les informations qui alimenteront sa conversation le lendemain. L'opinion publique, c'est le commerçant qui prépare ses étales dès tôt le matin et qui va se tailler une bonne bavette avec l'instituteur pour lui dire qu'il faut serrer la vis car les jeunes, on voit ça à la télé, ne respectent plus leurs profs ! L'opinion publique, c'est aussi le chômeur qui va attendre son tour à Pôle-Emploi et la première étape de sa démarche sera d'attendre patiemment que se déroule un petit film à l'usage collectif et qui lui explique tout ce dont il pourra, naturellement bénéficier. Il discute avec les autres et "s'en fou pas mal de ce petit film à la con" : "tout ça, c'est certainement à cause des étrangers", se dit-il et lui dit-on ici et là au carrefour de l'opinion publique. D'ailleurs, le retraité qui discutait avec l'employé de banque l'autre jour l'a bien dit : "vous n'voyez pas ça, y'a encore 100 000 kurdes qui viennent de débarquer en Corse et qu'on accueille !" L'opinion publique, c'est aussi les petits jeunes du coin qui font des courses de kwad la nuit en réveillant "les bons citoyens" qui penseront naturellement que les jeunes ne valent plus rien aujourd'hui.

 

Et tout ce petit peuple va se faire son propre discours et le faire résonner à loisir dans les lieux publics, dans les lieux où se joue l'altérité, c'est-à-dire où l'on rencontre autrui. Pourtant la personne que l'on cherche à rencontrer, c'est la personne qui a la même opinion et avec qui on joue à faire résonner encore plus fort ce beau discours sans faille et formulé au gré du vent tantôt par la radio, tantôt par les politiques, tantôt par l'esprit libre.

 

Et si nous voulons que progresse l'intelligence collective, il faut lui donner des aliments de choix, des mots qui font aller plus loin, plus haut, des idées qui suscitent amour et tolérance, solidarité et générosité. Eviter ce petit mot là, qu'on dit quand on rencontre un clochard : "bah, de toute façon, c'que vais lui donner, y va'l boire !" ou bien "vous n'voyez pas ça, ces Roms, moi j'leur donne rien : ils ont des Mercédès et vous embobinent". Voilà, les p'tites phrases de l'intelligence collective qui vont lui donner à la fois bonne conscience et approbation du nombre de ses adhérents.

 

C'est comme cela qu'il fonctionne, ce logos du peuple, en forgeant âmes et consciences, au gré du vent et de la parole médiatique. C'est comme cela que l'on qualifie la femme voilée, peu ou plus couverte, de terroriste ou de sac de pommes-de-terre sans que cela soit choquant pour personne sauf pourtant pour elle qui se sent exclue et va chercher naturellement à trouver soutien dans des formes de retranchement qui sont plus dangereuses pour notre société que la liberté qu'elle peut éprouver là sous son voile quand naturellement c'est elle qui l'a choisi et elles sont nombreuses à le choisir si toutefois certaines sont des victimes et là, c'est un autre débat. Et même ces victimes là, il faut pouvoir les aider, les écouter, les accepter comme elles sont. Etre prêt à cela. Or la parole collective, ce logos amplifié par la voix du peuple nous permettra-t-il d'éprouver quelque compassion que ce soit ?

 

Et voilà peut-être le cœur du problème : la voix qui courre sur les marchés, à la banque, dans la salle d'attente du médecin est-elle capable de nous rendre attentifs aux souffrances que vivent ceux qui se trouvent et que l'on plonge dans la différence ? Mais alors, pourquoi ne pas prendre le soin de soigner la formulation du débat pour livrer de belles pensées à cette intelligence collective qui sait pourtant être émue par le téléthon, ou par les victimes d'Haïti ? Notre responsabilité n'est-elle pas là aussi ? N'est-ce pas d'abord par notre capacité de nous émouvoir de la situation d'autrui que nous nous révélons à nous-mêmes notre humanité et que nous pouvons être forts collectivement dans cette humanité ? Ne se dépasse-t-on pas dans cette forme d'écoute quand on sait s'émouvoir et plaindre l'injuste plutôt que de le condamner, confier des responsabilités au jeune insensé plutôt que de le surveiller, et regarder le mendiant avec sincérité, quand on feint souvent de l'ignorer ? Cathy Leblanc.

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4 février 2010 4 04 /02 /février /2010 11:36

Après la burqua dont le débat a marqué de notre part, notre indigence intellectuelle notoire (période de crise oblige)et qui rappelle sans détour certaines expressions cartésiennes comme "songe-creux" ou "pense-misère", la question devient aujourd'hui, celle de savoir comment on peut ménager l'accès des adolescentes (car c'est encore des femmes qu'il s'agit) au planning familial. Comment donc, pouvoir garantir la contraception à de très jeunes filles, collégiennes avec le soutien des autorités ? C'est la question qui résume tout le problème et les enjeux de la sexualité adolescente ou pré-adolescente. Pour formuler la chose en termes prosaïques : comment les enfants peuvent-il baiser sans problème ?

 

Pardonnez la vulgarité de cette formulation mais il me semble qu'elle est là aussi à la hauteur ou au manque de hauteur du débat et caractérise notre indigence en matière de générosité intellectuelle. Permettre aux adolescentes d'avoir accès à la contraception est-il le vrai remède aux avortements chez les mineurs ?

 

Je ne vous cache pas que ce débat me choque et me dérange au plus haut point et que la banalisation de l'amour ravalé au simple rang de l'exercice de la sexualité me gène terriblement au regard de la qualité des sentiments et des pensées vers lesquels nous devrions être capables d'orienter notre jeunesse. Peut-être une telle garantie permettrait-elle de réduire le nombre des divorces et la vivacité de la souffrance morale qui peut conduire jusqu'au suicide.

 

La question est donc la suivante : est-ce l'exercice de la sexualité qui conduit au bonheur et au sentiment de plénitude ? Cet exercice est-il au rang des priorités dans la construction de la jeune personne ? Sommes-nous les garants de bons acteurs sexuels ou les responsables de petits êtres bien construits ? Ces questions comprennent leurs propres réponses et je pense que proposer une contraception, l'expliquer amplement et avec maints détails à une population très jeune me semble encourager une pratique sexuelle banalisée en négligeant de former les petites âmes à la poésie qu'elles pourront rencontrer et assumer quand viendra pour elles le temps de construire leur nid. On sépare amour et sexualité en leur apprenant à gérer la différence.

 

On se demande alors pourquoi l'école néglige cette construction de la personne et pourquoi alors qu'elle devrait disposer de moyens intellectuels qu'elle est sensée dispenser, elle se contente de fragmenter les problèmes et de généraliser leur approche. Pourquoi l'école n'aborde-t-elle pas de façon philosophique la problématique du corps, de la maîtrise de soi, de la dignité, la problématique du bonheur qui résulte de choix discernés et réfléchis, la problématique de la réflexion dans la vie de tous les jours, c'est-à-dire aussi celle de l'éthique et du respect de soi-même et d'autrui ? Pourquoi remplace-t-on tout ceci par la mise à disposition de la contraception ? Naturellement nous avons mission de guérir les plaies humaines mais n'a-t-on pas d'abord le devoir et la responsabilité de les prévenir et même d'être les garants de la possibilité d'accéder au bonheur et à la dignité ?

 

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1 février 2010 1 01 /02 /février /2010 23:29

Chacun en ce moment est soumis au débat sur la burqa, le voile intégral et je dois prendre la parole pour dire combien ce débat me révolte, ce que j'ai déjà dit sur le blog de Catherine Kinztler. Toute la poésie du monde disparaît dans ce débat et on a l'impression qu'il cristallise ce qui est essentiel aujourd'hui. On ne fait pas de débat sur l'addiction des enfants, petits et grands, à l'Internet où pourtant ils perdent leur liberté et peut-être leur avenir, devenant incapables de se concentrer pendant les heures de classes. On ne fait pas débat sur l'alcoolisme des ados et on n'en parle même pas. On ne fait débat sur les violences faites à l'enfant. Cette année c'est aussi, comme je l'ai dit précédemment le 65ème anniversaire de la libération des camps de concentration. On en parle très peu. Une journée voire deux. On ne parle pas des personnes âgées qui meurent à petit feu dans le froid de leur pauvreté. On ne parle pas des humiliations subies par les étrangers. On ne parle plus du racisme : le débat est tombé aux oubliettes. "Touche pas à mon pot..". un loin écho. On ne parle pas du besoin de dons d'organes, de sang. On ne parle pas de l'illettrisme dans notre beau pays où s'installe une pauvreté digne des pays en voie de développement. On ne parle pas de l'éducation culturelle de l'enfant. On ne parle pas du concours Reine Elisabeth de Bruxelles, des lauréats. On ne parle pas de la situation des personnes qui vivent professionnellement sous contrat à durée déterminée, ne pouvant s'engager dans la vie, faute de pouvoir assumer leurs projets. On ne parle pas du talents des jeunes. On ne parle pas de l'abus de pouvoir lors de certaines gardes à vue où pourtant on n'hésite pas à faire se déshabiller complètement les personnes leur demandant d'enlever jusqu'à leur sous-vêtement. Ma voisine a été victime de cela, là, juste à côté de chez moi mais elle n'y restera pas : elle vend sa maison et part ailleurs, dans un endroit où on ne la détestera pas : elle est étrangère. On ne parle pas des concours de poésie. On ne parle pas de la flotte américaine s'installant aux abords de la Perse. On ne parle pas des souffrances de ceux qui vivent à Gaza. On ne parle pas du déracinement obligatoire de celui que Brassens appelait le juif errant. Non... on parle, on reparle, on nous assomme avec le cas de la femme musulmane qui porte un vêtement qui la couvre en entier et qu'on appelle "voile intégral". On ne se demande pas si son choix exprime une peur. On ne se demande pas si l'adolescente qui veut couvrir son corps a besoin d'aide, a besoin d'accepter celui-ci, a besoin qu'on la rassure sur le bien qu'on lui veut. Non, on va même jusqu'à la soupçonner de terrorisme, toute terrorisée qu'elle puisse être elle-même. On ne questionne pas la vision qu'ailleurs on a de la nudité exposée dans l'Occident. On ne se demande pas pourquoi là, dans cet Occident qui se veut si civilisé on pratique le dévoilement à outrance. On ne se demande pas quel danger court l'adolescente qui incarne la femme objet. On ne la met en garde pas contre elle-même et tout ce que sa jeune silhouette lui promet, lui révèle et qu'il faudrait peut-être aussi cacher un peu. On ne parle pas de l'infidélité, de la fragilité des mariages aujourd'hui, de la difficulté des êtres à continuer de s'aimer et de s'aider malgré les difficultés. On ne parle plus de nos grands-mères qui elles-mêmes se promenaient avec un foulard sur la tête, du voile que portaient les femmes ou de leur beau chapeau pour aller le dimanche à la messe.

Non, on a choisi de passer l'année sur le thème de la femme qui s'enveloppe de son habit pour ne plus laisser voir que la vive expression d'un regard venu du Sud, il y a parfois bien longtemps.
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27 janvier 2010 3 27 /01 /janvier /2010 14:16

 

Nous célébrons aujourd'hui le 65ème anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz par l'armée russe. C'est un anniversaire qui n'a rien de commun avec les anniversaires que l'on peut célébrer et fêter comme c'est le cas des anniversaires de naissance chez les hommes et même pour les hommes chez des animaux qui peuvent leur être proches.

 

L'anniversaire de la libération de ce camp est à la fois l'anniversaire de la libération des vies mais aussi par cette libération, l'événement qui permettra dans l'avenir de reconnaître ce dont l'homme a été capable. On n'en finit pas de décrire les tortures, les souffrances et de chercher quel sens il pouvait bien y avoir là, de recenser les faits, les récits aussi singuliers qu'émouvants.

 

Et pourtant, cela est essentiel car c'est l'intolérance pratiquée à un degré suprême qui permet de poser la mort d'autrui comme solution de vie. Cette mort n'est plus figurée comme dans le cas des menaces que l'on peut entendre proférer ici et là. Elle est concrète. Etat psychique passé à l'acte. Excès, démesure encore.

 

Les bâtiments où eurent lieu ces infâmes procès, ces crimes douloureux tombent en ruine. Des fissures craquèlent les murs et l'on dit qu'il faut 120 millions d'euros pour les remettre en état. On se pose alors, naturellement, la question de savoir s'il faut remettre en état et ce que cela signifie. On ne reconstruit pas Auschwitz : on préserve les traces d'un fait qui ne doit plus se reproduire. Et le maintien de la vie par l'éducation des faits qui ont eu lieu n'a pas de prix. On ne répare pas Auschwitz. On ne consolide pas les fondations. On ne rénove pas : ce sont les murs de la mémoire qui sont renforcés, réparés. Drôle d'écart entre ces murs-là et les murs du désastre : un entre-deux qui fait toute la différence et qui porte le sens de notre travail à tous aujourd'hui. Pour vivre dans la différence et la faire déférence, pour qu'un jour peut-être l'harmonie et l'amour entre les peuples, entre les personnes puisse prédominer. Fini la guerre, bonjour les concessions. Fini le terrorisme, bonjour le dialogue, la construction dans l'intelligence et dans l'effort d'un idéal acceptable pour tous et pour la vie de tous.

 

Ce chemin sera long et tient peut-être d'un idéal mais s'il parvient à se construire un jour, il faudra rendre hommage aux victimes qui auront su par leur dépouillement dans la souffrance, leur cri silencieux, leurs voix éteintes, retenir à la fois notre cœur et notre raison, parvenant ainsi à se faire entendre.

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22 janvier 2010 5 22 /01 /janvier /2010 10:17

Ce jeudi 21 janvier 2010 avait lieu, au cinéma Jacques Tati d'Aniche une projection-débat qui a permis de revenir sur des moments-clés de la quotidienneté au travail. Certes marquée politiquement, cette réflexion met néanmoins à jour l'impossibilité de vivre sa vie (et l'impossibilité constitue un terme essentiel dans la pensée de la barbarie comme nous le montrions dans un ancien article). Voilà en tout cas ce que j'en ai retenu. Nous ne sommes pas loin du thème de l'aliénation si cher à Hegel et nous sommes en présence ici d'une aliénation des libertés. J'emploie ce terme au pluriel car on constate selon la casuistique une variabilité de l'ampleur que cette aliénation peut prendre. Selon qu'il s'agit d'un type de travail ou d'un autre, on n'a pas  affaire aux mêmes mutilations.

 

Dans le film de Jean-Michel Carré et dont titre n'est autre que "j'ai très mal au travail", le "très" est présenté graphiquement comme la correction en rouge d'un titre initial "j'ai mal au travail", comme on dit j'ai mal à la tête, j'ai mal au ventre, j'ai mal au cœur aussi, comme si le travail était devenu partie intégrante du corps humain. On fait désormais corps au travail et l'on apprend que le travail représente la première priorité de ceux que j'appelle les "habitants de France" pour ne pas les limiter aux français, par rapport à la santé, à l'amour, à la famille, aux loisirs. Mieux vaut travailler qu'aimer ou être aimé. Ce n'est pas ou plus l'amour qui fait le bonheur, c'est d'abord le travail.

 

On apprend encore qu'un cinquième des SDF à Paris est constitué par des salariés. Ils travaillent mais le travail ne garantit plus, dans les grandes villes, l'habitation. On travaille sans sol. Une partie des cheminots n'a pas non plus de domicile : hors du train, ils dorment dans leur voiture. L'expression "gagner sa vie" devient toute relative. Que gagne-t-on encore dans ces conditions ? Sont-elles encore des conditions de vie quand la vie devient impossible ? L'impossibilité. La barbarie.

 

Des sociologues s'alertent et essaient d'attirer l'attention sur ce que notre humanité nous dicte de refuser. On ne peut ni ne doit accepter cet état des choses dans notre société où l'abondance de consommation devrait pourtant être l'indicateur d'une certaine richesse. Cette richesse n'est pas partagée et elle est loin d'être richesse morale ou spirituelle car l'esprit fuit devant la consommation tout comme la qualité de vie de ceux qui œuvrent à la production.

 

Dominique Decèze, est l'auteur du livre "Gare au travail" qui fait suite à un autre ouvrage intitulé "La machine à broyer". Il est sociologue et intervient régulièrement pour des expertises. "Gare au travail, malaise à la SNCF" est justement le résultat d'une expertise qu'il a réalisé sur huit mois. Le thème fédérateur de l'ouvrage est celui de la souffrance au travail. C'est aussi le thème qui ressortait du film-documentaire de Jean-Michel Carré. "Des moins qualifiés aux cadres, les salariés sont ou seront confrontés, un jour ou l'autre, à des conditions de travail qui méprisent l'être humain". Il est donc question de la souffrance éprouvée lors de la déshumanisation qui comprend non seulement le traitement de l'humain par le mépris mais aussi les conséquences morbides des conditions de travail. Il y a une conjonction entre ce que l'on peut aussi appeler les processus d'humiliation dans lesquels le travailleurs éprouve la perte d'estime de lui-même à cause de processus ciblés, et entre les risques encourus par le travail et dont résultent les accidents du travail. D'où l'expression retenue par Dominique Decèze : "perdre sa vie en la gagnant". Mais il est probable selon nous que l'on reviendra certainement à une expression plus adaptée si la paupérisation des couches moyennes et inférieures se poursuit et qu'on reparlera de "gagner son pain".

 

C'est donc pour attirer l'attention et faire prendre conscience du caractère non-normatif des suicides au travail, que Dominique Decèze décide de publier son expertise, qu'il retravaillera pour lui donner la forme d'un livre accessible au grand public, devoir éthique oblige. La prise de conscience, m'explique-t-il est essentielle. Dès lors que l'on prend conscience, on prend la mesure d'une réalité et l'on fait appel à sa responsabilité personnelle. On devient acteur du monde. Si la notion de culpabilité détruit l'humain au travail, la responsabilité personnelle dans l'ensemble des collectivités est susceptible de restaurer. C'est ainsi que sont nées les mouvements syndicaux, les grands rapports sur les conditions de travail comme ceux que firent Engels et Marx à propos du travail des enfants dans les manufactures de Manchester.

 

Le travail des grands écrivains de la révolution industrielle et je pense tout particulièrement aux écrivains anglais comme Charles Dickens fut justement d'amener les consciences des lecteurs à voyager au sein de réalités impossibles ou insoutenables On relira "Les temps difficiles" (Hard Times) avec grand intérêt.

 

Ceci nous amène au voisinage de l'action de piété. Dans les religions, je ne peux accepter que mon prochain souffre quand je peux atténuer sa souffrance. On parle de charité. En termes juridiques, on parlera de "non assistance à personne en danger". Le parallèle existe et correspond à une même réalité. Penser le travail et je suis tentée de dire panser le travail, c'est donc l'expression de ma capacité à la charité. Ce qui y mène : la possibilité d'éprouver la compassion, la pitié, la possibilité d'être dérangé par la souffrance d'autrui. Mais voilà, il semble d'après les témoignages de bon nombre de psychanalystes qu'un blindage émotionnel et affectif soit mis en place pour qu'à l'intérieur des entreprises les responsables hiérarchiques puissent vivre à l'écart de leur sensibilité, de cette sensibilité qui conduit à pouvoir éprouver la compassion.

 

Peut-être ne faut-il pas généraliser –et nous connaissons des exemples de hauts responsables qui, tout au contraire, prennent grand soin de l'humain dans leurs entreprises. Mais cela ne pose pas problème et c'est au problème qu'il faut s'attaquer : restaurer, peut-être en premier lieu, la possibilité d'éprouver sa sensibilité et donc, de vivre pleinement sa vie en permettant ainsi à autrui de vivre aussi pleinement la sienne.

L'art a conscience de son devoir de restauration de cette sensibilité essentielle. Ainsi Martine Delannoy nous a-t-elle invités dans un voyage poétique esthétisant des étapes importantes de la prise de la conscience. Merci Martine.


Je remercie vivement Dominique Decèze et le comité d'établissement régional des cheminots Nord pas de Calais de m'avoir invitée à cette soirée passionnante qui ouvre la voie à des débats et réflexions à venir. 

Cathy Leblanc

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13 janvier 2010 3 13 /01 /janvier /2010 22:42

Ce mercredi 13 janvier 2010, j'avais rendez-vous avec Daniel Simon et Chantal, respectivement le Président de l'Association des Anciens Déportés de Mauthausen et la personne qui se charge de la communication. Il est question d'organiser le prochain congrès de l'Association à Lille et de proposer l' exposition de plusieurs séries de clichés qui ont été pris dans les camps.

            Là encore, je découvre ce dont l'être humain a été capable et parfois je me demande si la barbarie n'est pas tout simplement de la folie. Aujourd'hui un étudiant a assassiné une secrétaire à Perpignan. Cela a-t-il du sens ? Doit-on finalement en chercher ? Le sens semble se démultiplier dans le contexte de la barbarie et je n'avais pas conscience, quand je parlais de la démesure, de cet aspect-là de la démultiplication. Mais l'étendue est telle qu'elle échappe à toute prise rationnelle, un peu comme si, au fond, on ne pouvait pas saisir : tenir là, dans le creux de sa main, cette amplitude remplie de néant et vidée de tout. Un rien shakespearien, le rien éprouvé par Hamlet contemplant tel Pythagore assistant au spectacle du monde, l'arène en train de se déchirer.

            Quel espace, quelle forme. Et pourtant au beau milieu de cet informe se trouve l'immense beauté des gestes du peu et de l'infortune. Immense est peu dire, faut-il lui préférer infini ?

            Daniel me montre l'ouvrage qui contient ces photos, une multitude, une démultiplication de photos nazies représentant le bon ordre qui règne dans les camps, représentant les beaux officiers tirés à quatre épingles et se faisant tirer eux-aussi le portrait, mais représentant surtout l'infâme misère : là, un tas de cadavres, comme on dirait un tas de pommes-de-terre, jonché là. A côté, un homme portant ce costume rayé si caractéristique, un bloc de papier et un crayon à la main. Il scrute attentivement un point dans ce tas de chair morte et si l'on regarde bien, on se rend compte qu'il s'agit du visage d'une femme. Au dessus de l'épaule de cet homme se tient un autre homme qui regarde ce qui apparaît sur la feuille de papier avec l'esquisse d'un sourire. Que se passe-t-il ? Le premier est artiste et fait l'ébauche du visage de cette femme dont il ouvrira les yeux comme pour lui rendre la vie. Le second, dans l'abîme sis entre l'horreur et la beauté du geste esthétique, se trouve humainement dans une situation d'émerveillement. Le peintre redonne la vie.

            J'avouerai que c'est la première fois que je ressens cette puissance du geste esthétique qui apparaît quelque peu comme un acte de langage. Il change la réalité qu'il nomme et qu'il déforme un peu. Il la fait passer du côté de la vie. Geste de résistance par excellence.

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30 décembre 2009 3 30 /12 /décembre /2009 10:48

La réflexion qui suit émane d'une conférence donnée à l'Institut Catholique de Paris le mardi 8 décembre 2009 de 10.30 à 12.00. par Monsieur Badinter.

La responsabilité des propos m'incombe. Il ne s'agit pas ici de reproduire les propos de Monsieur Badinter mais d'ouvrir une réflexion qui repose sur des problèmes que j'ai essayé de mettre en lumière et qui doit pouvoir s'adresser à tous, toutes orientations politiques confondues.

 

D'emblée Robert Badinter refuse de se situer dans le champ de la philosophie. Il ne veut pas questionner le contenu, la notion ou l'idéologie des droits de l'Homme. On estime donc qu'il effectue un bilan sociétal, politique et historique. Pourtant ses propos nous invitent à une réflexion philosophique et c'est une réflexion de ce type que nous nous proposons d'ouvrir ici à partir des propos qu'il a tenus.

 

Robert Badinter nous rappelle qu'il y a eu des régimes qui se sont opposés radicalement aux droits de l'homme et évoque à cet égard le régime nazi. Le totalitarisme ou les totalitarismes s'affirment effectivement en violation des droits de l'Homme. Cependant, une difficulté se pose d'emblée. Comment est-il possible d'affirmer et de prouver que tel ou tel totalitarisme n'est pas au contraire dirigé en faveur du peuple ? Comment surmonter la démagogie qui pèse ainsi sur les esprits ? Quelles preuves apporter ? Comment faire comprendre à un esprit embrigadé que la suppression de telle ou telle race qui le menace n'est pas un bienfait ? Comment même prouver que la peine de mort est un progrès pour l'humanité toute entière ? Il y a là, à mon humble avis, un vide argumentatif qui pose le problème de l'éducation mais aussi des valeurs.

 

Monsieur Badinter est conscient du risque de ce relativisme et il n'évoque pas les valeurs en tant que telles. Comment, en effet, échapper à l'idée d'une tyrannie des valeurs en matière civilisationnelle ? Pourquoi et à quel titre, l'Occident qui a aboli la peine de mort serait-il plus civilisé que tel ou tel pays qui prescrit la lapidation de la femme soupçonnée d'adultère ou de la femme s'étant adonnée à l'adultère et que l'on considère dans ce cas coupable au sens juridique du terme ? Cette culpabilité, si elle reste une culpabilité morale dans les démocraties occidentales –encore qu'elle puisse être une culpabilité juridico-politique aux USA, ce que nous avons vu avec l'affaire Clinton/Levinsky et bien qu'ici ce soit un homme qui fut considéré "coupable"- n'entre pas dans la sphère de l'enfreinte criminelle. Notre condamnation reste donc morale alors que la condamnation qu'en fait le pays qui condamne ainsi l'adultère l'érige en enfreinte pénale. Comment et à quel titre peut-on faire valoir la supériorité de l'abstraction qui transforme ce type d'enfreinte en une enfreinte morale sur un système pour lequel cette enfreinte reste concrètement condamnable ?

 

Peut-on légitimement et aux yeux de tous, instituer un système de valeur qui voudrait que l'Occident soit plus avancé que l'Autre, que les autres sans se placer dans une démarche qui a tout d'un impérialisme moral et juridique ? Comment dépasser ces contradictions ?

 

Nous trouvons une réponse possible à toutes ces questions chez Monsieur Badinter : la notion de "noyau dur", qui a tout –excusez du peu- d'un concept philosophique et qui fait référence au sentiment, à cette certitude sensible irréductible du bienfondé du respect de la vie et de l'égalité. Et de nous demander s'il existe véritablement et universellement une idée, un sentiment du juste et une idée accompagnée d'un sentiment de ce que les modalités du juste peuvent être pratiquement dans la vie du citoyen ? Enfin... nous parlons bien du citoyen, n'est-ce pas ?

 

Le problème est que même cette notion de citoyenneté constitue une difficulté majeure. Rappelons que la femme suisse ne devient citoyenne qu'en 1971 ! Rappelons aussi, pour la petite histoire, que lors de la première candidature féminine pour la présidentielle en France, la seule réaction d'opposition, de quelque parti politique qu'ait été issue cette réaction, fut la moquerie et la réduction en ridicule, là où l'argumentation aurait constitué une bataille à armes égales. Et Monsieur Badinter de souligner que la France n'est pas exempte de la violation des droits de l'homme. On pense à la parité mais aussi à la question de l'immigration et l'on se demande si la reconduite d'étrangers non légitimement admis sur le sol français, dans des pays en guerre ne constitue pas justement une enfreinte de la déclaration universelle des droits de l'Homme. On a estimé qu'il n'était pas économiquement soutenable d'offrir l'hébergement aux populations clandestines, fussent-elles en détresse. On a également condamné la solidarité dont avaient fait preuve les calaisiens envers les réfugiés de la jungle. Et tout ceci ouvre sur des contradictions sur lesquelles nous avons le devoir de travailler. En effet, il y a contradiction entre la faute consistant à aider celui qui est là illégalement et le délit de non assistance à personne en danger. On ne dit pas "non assistance à français en danger" ou "à national en danger" mais bien "à personne en danger". Il y a contradiction entre la charité, notion morale que l'on retrouve aussi dans les religions, et la mise en péril de la masse citoyenne. Le noyau dur de ce qui constitue le sentiment du juste est donc aussi "chez nous", bien problématique et le problème vient ici de la compatibilité entre économie et humanisme ou universalisme si bien qu'il convient de réfléchir instamment à la conception d'un nouvel ordre mondial qui puisse aussi être un ordre moral économiquement solide.

 

Ce Problème trouve une illustration parfaite dans les rapports diplomatiques avec la Chine. Et Monsieur Badinter d'affirmer qu'il ne faut pas transiger sur la question des droits de l'Homme, qu'il est possible de séparer le monde des affaires d'une part et celui du respect de la personne de l'autre. La difficulté devient celle du boycott des produits de tel ou tel pays et la fragilisation de l'économie. Or une économie prospère doit permettre d'éviter la pauvreté et les morts relatives à la pauvreté. Donc le deal n'est pas simplement binaire. Il est binaire à double niveau et ne pouvant ignorer la nécessité de l'équilibre économique pour les conséquences humaines qu'il engendre, la seule solution trouvée ce jour est une solution d'insatisfaction : celle d'un discours récurrent sur la nécessité du respect de la personne articulée à la poursuite néanmoins des accords commerciaux.

 

On ne conclura pas à propos de tout ceci mais ce que je tenais à mettre en lumière, c'est la nécessité flagrante du développement de l'éducation et de l'éducation du respect qui seule peut conduire les peuples dans leur diversité à une grandeur d'âme telle qu'elle dissolve les conflits et les apaise. La pratique artistique, littéraire, les sciences Humaines, l'étude des religions aussi en tant qu'elle témoigne de la volonté d'un dépassement spirituel (et non de l'instrumentalisation d'un contexte spirituel à des fins radicales), constituent certainement et solidement la matière capable de venir à bout de la contradiction. Le débat est ouvert. Cathy Leblanc.


                                                                                                    

 

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30 novembre 2009 1 30 /11 /novembre /2009 09:23

 

Compte-rendu

 

Le mercredi 25 novembre eut lieu à la Faculté de Théologie de l'Université Catholique de Lille, une après-midi de réflexion sur la violation des Droits de l'Homme en Bosnie de l'Est. Tout au long de la conférence dont le titre était "Ecrire la terre : la géographie du génocide en Bosnie de l'Est", puis pendant le film, ce sont les modes opératoires de cette violation qui ont été mis en lumière.

Il s'est agit principalement d'une distorsion de la vérité géographique. L'assaillant serbe prend possession du terrain : le terrain public, le terrain et les propriétés privés mais il prend aussi possession des corps dont il dispose à loisir soit en les vouant à l'extermination par balle, soit, pour le cas des femmes bosniaques, en leur imposant des grossesses destinées à perpétuer la race serbe, dans des camps prévus à cet effet.

Après le conflit, les traces de cette violence insoutenable restent présentes et le travail de restauration qui débute alors est tout également un travail de réflexion sur ce qui constitue un peuple en sa dignité. Que faut-il rendre pour que l'homme violé en ses droits, meurtri en sa chair, cet homme qui a vu toute sa famille exterminée sous ses yeux retrouve une possibilité d'être ? Que faut-il faire pour que l'ensemble que constituent ces hommes retrouve sa cohésion et sa cohérence ? Comment faut-il considérer la question de l'identité des enfants des viols raciaux ? L'identification des ossements retrouvés épars dans de multiples charniers est-elle la meilleure façon de permettre aux familles de faire leur deuil ? Ces questions sont d'une extrême importance pour trois raisons :

a) Tout d'abord c'est encore tout un peuple qui est en souffrance et qui a besoin d'aide, de beaucoup d'aide d'autant que ce peuple ne jouit pas encore complètement des accords de Dayton qui sont eux aussi violés : en témoignent les panneaux indicateurs qui ne portent que l'écriture cyrillique et non la signalisation bilingue comme cela avait été prévu par ces accords.

b) Ensuite, si nous avons là un exemple parmi d'autre de barbarie, un exemple en grand, ce qui se passe en petit dans nos sociétés se trouve éclairé par une exigence nouvelle.

c) Finalement, ces questions ressortent de notre capacité à les poser, de notre capacité à être dérangé par l'injustice, de notre capacité à apporter notre aide, notre solidarité à ce qui souffrent dans une indifférence consternante.

Nous remercions David Pettigrew, Professeur à la Southern Connecticut University de nous avoir exposé son analyse de la question de la violation des droits en Bosnie de l'Est à l'aune d'un fil directeur : celui de l'écriture de la géographie. Le philosophe prêta main forte au réalisateur (son fils) pour nous présenter un film dont les images ne doivent pas faire oublier qu'elles ont été tournées à deux heures d'avion de chez nous. Nous remercions et félicitons Jonah Quickmire Pettigrew, metteur en scène diplômé de la Tisch School de New York et pour cause ! Merci également à Dominique Durand, sociologue et Président de l'Association Française Buchenwald-Dora et Kommandos d'être venu éclairer le débat de questions cruciales.

                                                                                    Cathy Leblanc

Pour toute information et si vous souhaitez lire le texte de la conférence, merci de nous contacter à cathy.leblanc2@wanadoo.fr

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9 octobre 2009 5 09 /10 /octobre /2009 12:51

Il me revient à présent de réfléchir encore sur ces journées de congrès : trois journées de traduction simultanée sans appareil de retranscription, donc dans la proximité, trois journées d'accompagnement, trois journées de débats, de questionnements, de rencontres, trois journées chaleureuses.

Naturellement, ces journées ont pris sens pour moi à partir de la personnalité d'Ed. et à partir de la présence à ses côtés de sa famille. La question qu'il m'incombe à présent de me poser est celle de ce que j'ai personnellement perçu du congrès et de l'activité de l'Association Buchenwald-Dora.

                                                              Un policier français, Edward et son gendre
Premier constat : celui de rencontres nombreuses et chaleureuses. Toutes les personnes présentent étaient impliquées personnellement dans l'histoire de la déportation : soit qu'elles avaient un membre de leur famille qui avait été déporté, soit qu'elles-mêmes avaient connu l'univers concentrationnaire.

De façon générale et pour revenir sur le sentiment de joie qui était là présent, je dois dire que je n'ai pas perçu d'obscurité, de tristesse, de lamentation. Tout cela était absent alors que pourtant je m'étais attendu à un certain sérieux, une certaine gravité. Je n'avais pas osé emmené des vêtements trop colorés et j'avais opté pour le noir et blanc ou le violet foncé classiques discrets, enfin je l'espère.

Tout ceci m'a permis d'observer un phénomène de groupe qui concerne la tonalité partagée et qui indique elle-même que le sens n'a aucune ambiguïté : il se vit, en commun, de façon unanime. Aussi importe-t-il de consulter ceux et celles qui sont d'abord concernés par l'écriture de l'histoire. On a évoqué, dans le congrès la notion de "mémoire partagée", qui, si j'ai bien compris implique un partage, de part et d'autre de la frontière et des affrontements, d'une même histoire, des mêmes souffrances, la reconnaissance des peuples unanimement victimes de la barbarie. Cela dit un tortionnaire nazi ni même un collabo français ne saurait partager le rôle de victime avec celui ou de celle qu'il a fait souffrir ou mené à la torture : le partage s'arrête là où commence la responsabilité. Un barbare reste un barbare. Les allemands font sans doute moins de concessions que nous et je pense au traitement réservé à Heidegger (1889-1976) à Fribourg.

Et ceci, naturellement me ramène invariablement à mon sujet de thèse (soutenue en 2007). Heidegger avait d'abord accueilli avec ferveur le nazisme, en 1933. Il fallait travailler sur les valeurs, retrouver l'authenticité de l'origine pour permettre un dépassement de la crise des valeurs, et pour lui, le programme politique a d'abord paru s'assimiler à un programme métaphysique. Mais en 1934, il démissionne de ses fonctions quand le ministère nazi lui impose de fermer la porte de l'université de Fribourg dont il est le recteur, aux juifs. Les Fribourgeois ne lui ont pas pardonné son engagement initial et le font figurer, dans un petit musée sur l'Université, parmi les figures éminentes du nazisme avec un "bel" insigne nazi. La presse à scandales française, quant à elle, se fait, naturellement beaucoup d'argent grâce à cette Erreur de jugement quand bien même Heidegger affichait sa désapprobation vis à vis du biologisme nazi, ainsi que de sa machinerie qu'il comprenait dans le terme évocateur de "Technique", cette façon de réduire l'être humain à de la logistique. Et le pire, disait-il, c'est que "ça fonctionne".

C'est la France qui assura la réception philosophique de Heidegger et le courant existentialiste est né de sa philosophie. En témoigne le livre de Dominique Janicaud, Heidegger en France. En ce sens Derrida est un philosophe heideggerien.

La notion de dignité mérite d'être questionnée car elle résulte souvent de la volonté de l'humain d'afficher une joie telle que l'on ne va pas chercher l'inquiétude au cœur de sa souffrance. La dignité est un mode d'être, une qualité et la noblesse de l'âme veut que l'on ne dise pas ce qui est éprouvé. Pourquoi en va-t-il ainsi ? Qu'est-ce qui est ainsi refusé par la dignité ? La communauté de souffrance ? L'invitation à l'émoi ? La culture de la tristesse ? Quelque chose, est de toute façon refusé, barré. Il y a négation d'ouverture sur un monde qui pourrait assombrir. Le séjour est aménagée dans joie, dans la lumière. L'existence reste sourire.

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  • : Enjeux métaphysiques
  • : Blog de Cathy Leblanc, professeur en philosophie à l'Institut catholique de Lille. Thèmes de recherche : la barbarie et la déshumanisation, la phénoménologie heideggerienne. Contact : cathy.leblanc2@wanadoo.fr Pas d'utilisation de la partie commentaires pour avis publicitaire svp.
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