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30 décembre 2009 3 30 /12 /décembre /2009 10:48

La réflexion qui suit émane d'une conférence donnée à l'Institut Catholique de Paris le mardi 8 décembre 2009 de 10.30 à 12.00. par Monsieur Badinter.

La responsabilité des propos m'incombe. Il ne s'agit pas ici de reproduire les propos de Monsieur Badinter mais d'ouvrir une réflexion qui repose sur des problèmes que j'ai essayé de mettre en lumière et qui doit pouvoir s'adresser à tous, toutes orientations politiques confondues.

 

D'emblée Robert Badinter refuse de se situer dans le champ de la philosophie. Il ne veut pas questionner le contenu, la notion ou l'idéologie des droits de l'Homme. On estime donc qu'il effectue un bilan sociétal, politique et historique. Pourtant ses propos nous invitent à une réflexion philosophique et c'est une réflexion de ce type que nous nous proposons d'ouvrir ici à partir des propos qu'il a tenus.

 

Robert Badinter nous rappelle qu'il y a eu des régimes qui se sont opposés radicalement aux droits de l'homme et évoque à cet égard le régime nazi. Le totalitarisme ou les totalitarismes s'affirment effectivement en violation des droits de l'Homme. Cependant, une difficulté se pose d'emblée. Comment est-il possible d'affirmer et de prouver que tel ou tel totalitarisme n'est pas au contraire dirigé en faveur du peuple ? Comment surmonter la démagogie qui pèse ainsi sur les esprits ? Quelles preuves apporter ? Comment faire comprendre à un esprit embrigadé que la suppression de telle ou telle race qui le menace n'est pas un bienfait ? Comment même prouver que la peine de mort est un progrès pour l'humanité toute entière ? Il y a là, à mon humble avis, un vide argumentatif qui pose le problème de l'éducation mais aussi des valeurs.

 

Monsieur Badinter est conscient du risque de ce relativisme et il n'évoque pas les valeurs en tant que telles. Comment, en effet, échapper à l'idée d'une tyrannie des valeurs en matière civilisationnelle ? Pourquoi et à quel titre, l'Occident qui a aboli la peine de mort serait-il plus civilisé que tel ou tel pays qui prescrit la lapidation de la femme soupçonnée d'adultère ou de la femme s'étant adonnée à l'adultère et que l'on considère dans ce cas coupable au sens juridique du terme ? Cette culpabilité, si elle reste une culpabilité morale dans les démocraties occidentales –encore qu'elle puisse être une culpabilité juridico-politique aux USA, ce que nous avons vu avec l'affaire Clinton/Levinsky et bien qu'ici ce soit un homme qui fut considéré "coupable"- n'entre pas dans la sphère de l'enfreinte criminelle. Notre condamnation reste donc morale alors que la condamnation qu'en fait le pays qui condamne ainsi l'adultère l'érige en enfreinte pénale. Comment et à quel titre peut-on faire valoir la supériorité de l'abstraction qui transforme ce type d'enfreinte en une enfreinte morale sur un système pour lequel cette enfreinte reste concrètement condamnable ?

 

Peut-on légitimement et aux yeux de tous, instituer un système de valeur qui voudrait que l'Occident soit plus avancé que l'Autre, que les autres sans se placer dans une démarche qui a tout d'un impérialisme moral et juridique ? Comment dépasser ces contradictions ?

 

Nous trouvons une réponse possible à toutes ces questions chez Monsieur Badinter : la notion de "noyau dur", qui a tout –excusez du peu- d'un concept philosophique et qui fait référence au sentiment, à cette certitude sensible irréductible du bienfondé du respect de la vie et de l'égalité. Et de nous demander s'il existe véritablement et universellement une idée, un sentiment du juste et une idée accompagnée d'un sentiment de ce que les modalités du juste peuvent être pratiquement dans la vie du citoyen ? Enfin... nous parlons bien du citoyen, n'est-ce pas ?

 

Le problème est que même cette notion de citoyenneté constitue une difficulté majeure. Rappelons que la femme suisse ne devient citoyenne qu'en 1971 ! Rappelons aussi, pour la petite histoire, que lors de la première candidature féminine pour la présidentielle en France, la seule réaction d'opposition, de quelque parti politique qu'ait été issue cette réaction, fut la moquerie et la réduction en ridicule, là où l'argumentation aurait constitué une bataille à armes égales. Et Monsieur Badinter de souligner que la France n'est pas exempte de la violation des droits de l'homme. On pense à la parité mais aussi à la question de l'immigration et l'on se demande si la reconduite d'étrangers non légitimement admis sur le sol français, dans des pays en guerre ne constitue pas justement une enfreinte de la déclaration universelle des droits de l'Homme. On a estimé qu'il n'était pas économiquement soutenable d'offrir l'hébergement aux populations clandestines, fussent-elles en détresse. On a également condamné la solidarité dont avaient fait preuve les calaisiens envers les réfugiés de la jungle. Et tout ceci ouvre sur des contradictions sur lesquelles nous avons le devoir de travailler. En effet, il y a contradiction entre la faute consistant à aider celui qui est là illégalement et le délit de non assistance à personne en danger. On ne dit pas "non assistance à français en danger" ou "à national en danger" mais bien "à personne en danger". Il y a contradiction entre la charité, notion morale que l'on retrouve aussi dans les religions, et la mise en péril de la masse citoyenne. Le noyau dur de ce qui constitue le sentiment du juste est donc aussi "chez nous", bien problématique et le problème vient ici de la compatibilité entre économie et humanisme ou universalisme si bien qu'il convient de réfléchir instamment à la conception d'un nouvel ordre mondial qui puisse aussi être un ordre moral économiquement solide.

 

Ce Problème trouve une illustration parfaite dans les rapports diplomatiques avec la Chine. Et Monsieur Badinter d'affirmer qu'il ne faut pas transiger sur la question des droits de l'Homme, qu'il est possible de séparer le monde des affaires d'une part et celui du respect de la personne de l'autre. La difficulté devient celle du boycott des produits de tel ou tel pays et la fragilisation de l'économie. Or une économie prospère doit permettre d'éviter la pauvreté et les morts relatives à la pauvreté. Donc le deal n'est pas simplement binaire. Il est binaire à double niveau et ne pouvant ignorer la nécessité de l'équilibre économique pour les conséquences humaines qu'il engendre, la seule solution trouvée ce jour est une solution d'insatisfaction : celle d'un discours récurrent sur la nécessité du respect de la personne articulée à la poursuite néanmoins des accords commerciaux.

 

On ne conclura pas à propos de tout ceci mais ce que je tenais à mettre en lumière, c'est la nécessité flagrante du développement de l'éducation et de l'éducation du respect qui seule peut conduire les peuples dans leur diversité à une grandeur d'âme telle qu'elle dissolve les conflits et les apaise. La pratique artistique, littéraire, les sciences Humaines, l'étude des religions aussi en tant qu'elle témoigne de la volonté d'un dépassement spirituel (et non de l'instrumentalisation d'un contexte spirituel à des fins radicales), constituent certainement et solidement la matière capable de venir à bout de la contradiction. Le débat est ouvert. Cathy Leblanc.


                                                                                                    

 

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