L’empathie désigne notre capacité à ressentir ce que ressent autrui, à accéder émotionnellement à la souffrance d’autrui. Elle représente une forme de compréhension par laquelle la communauté des êtres humains accède à ce qui fonde son humanité. Etre en mesure de comprendre émotionnellement autrui, c’est aussi valider l’humanité qui est idéalement en nous. Ainsi disons-nous de quelqu’un qui manifeste cette compréhension émotionnelle, qu’il est ou qu’elle est humain ou humaine.
Il faut donc rechercher l’empathie dans la relation que nous avons vis-à-vis d’autrui. L’empathie s’exerce dans les rapports d’altérité. Cette disposition est davantage une disposition de cœur qu’une disposition d’esprit. Elle suppose la mise en œuvre de la sensibilité à l’égard d’autrui, sensibilité qui devient un véritable instrument de mesure. Nous prenons la mesure du bien-être d’autrui en nous posant émotionnellement la question de son état, en nous souciant de lui et cette forme de souci là nous remplit d’humanité et confirme notre humanité.
Etre humain n’est pas un état. C’est un exercice continu. Et il n’est pas anodin que la formation des bourreaux passe par la destruction de leur empathie. Comment détruit-on l’empathie d’une personne ou d’un enfant ? C’est la question que se sont posés les nazis en formant des jeunes qui allaient gagner un courage « sur-humain ». C’est aussi la question que se sont posés les bourreaux de Daech qui, pour former les enfants en bas âge à une insensibilité qui leur permettra de perpétrer le crime, commencent par leur demander de s’exercer à couper la tête de beaux nounours blancs. Certains enfants s’y refusent et cela est d’autant plus difficile pour eux que la peluche est un lieu de projection par excellence de la sensibilité enfantine.
Il a fallu aux bourreaux nazis faire taire leur sensibilité pour pouvoir perpétrer d’horribles tortures, mais aussi manager le crime de masse, décider du transport de pauvres ères vers des lieux d’anéantissement, décider des rations alimentaires qui leur permettraient de survivre pendant une période donnée (neuf mois à Buchenwald avant 1945), décider de pratiquer des expériences biologiques sur des êtres humains comme cela fut fait à Dachau ou à Ravensbrück où l’on incisait les jambes des femmes pour y placer des bactéries et tester des remèdes potentiels. Les femmes en questions étaient cyniquement appelées « des lapins » car, ne pouvant tenir debout, elles se tenaient assises en endurant leur souffrance, sur des tabourets.
Toutes ces décisions nécessitent la mise en berne de l’empathie et l’écrasement de la sensibilité. Cette part de l’être humain qui s’adonne à ce type de pratique est dépouillée de son humanité. Quelque chose meurt en la personne quand elle pratique le crime. Aussi, avons-nous le devoir de crier notre indignation, de dire « non ! ». Ainsi que l’avait perçu Stéphane Hessel, l’indignation est le refus de l’absence d’humanité, refus d'effacement de l’empathie. Se dire indigné, c’est dire notre refus de lâcher prise à la compréhension émotionnelle que nous avons de nos semblables, notre refus d’exercer notre humanité dans la liberté qu’elle-même nous confère par son simple exercice.
Cathy Leblanc Professeur des universités catholiques en philosophie à l’ICLille.
Plus :
Entretien entre Cathy Leblanc et Françoise Sironi, le 11 novembre 2015 au Palais des Beaux arts de Lille dans le cadre de citephilo.
https://www.youtube.com/watch?v=s5LRDszC8eg