Chers amis,
En ce 8 mai 2020, alors que nous commémorons le 75ème anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale, j'ai réalisé une présentation synthétique des colloques sur la déportation que j'ai organisés à l'Université catholique de Lille avec le soutien de mon institution mais aussi de l'Association des anciens déportés de Buchenwald-Dora et Kommando, de la FNDIRP, de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, de la Fédération André-Maginot, du Rotary-club et de l'ONAC sans oublier l'Association Française pour l'Histoire de la Justice. Je remercie aussi l'Université de Milwaukee pour son soutien indéfectible qui nous a permis de bénéficier de l'expertise de Pol Vandevelde. Depuis quelques années, le centre de recherche sur l'interculturel de l'Institut catholique de Paris dirigé par Jean-François Petit est aussi venu nous rejoindre et nous soutenir si bien que les problématiques abordées par le Centre de Recherche International sur la Barbarie et la Déshumanisation peuvent dès lors être croisées avec un public élargi et une nouvelle forme d'expertise.
Je profite de ce message pour dire un grand merci à tous les membres nationaux et internationaux du CRIBED ainsi qu'aux membres du comité scientifique.
Je remercie également les éditions lilloises du Geai Bleu d'avoir accepté d'héberger la collection universitaire que j'ai créée "L'Existence à l'épreuve" pour accueillir ce type d'ouvrage.
Enfin je remercie les secrétaires de la Faculté de théologie de l'Institut catholique de Lille pour leur aide précieuse.
En moyenne 60 à 80 personnes assistent chaque année au colloque thématique sur la déportation. Cette année, alors que nous nous apprêtions à commémorer le 75ème anniversaire de la libération des camps, c'est-à-dire la victoire du courage et du juste sur le crime, une pandémie s'est invitée au programme nous obligeant à annuler l'événement. Nous proposerons donc rapidement une publication des actes de manière à faire événement.
Qu'avons-nous appris ? Voici en bref la rétrospective de tous ces colloques :
A propos du pardon - colloque du 10 au 12 mars 2011 (publié aux éditions du Geai Bleu)
Quel était l’état d’esprit de ceux qui ont été soumis à une souffrance extrême. Comment ses personnes retrouvent-elles des repères dans un monde apaisé ? Qu’ont montré les questionnaires ?
Les uns sont prisonnier de la haine et le disent. Ils ne trouvent pas le moyen de s’orienter autrement et craigne l’oubli.
D’autres réussissent à trouver des repères politiques ou spirituels. Politiques : construire la paix avec les enfants de l’ennemi. Spirituel : « C’est pour toi que tu pardonnes » disait Sam Braun à Marie-Josée Chombard de Lawe. Certains ont aussi été témoin de l’humanité d’un bourreau nazi ou SS, comme François Pierrot (cf. annexe de l’ouvrage sur le pardon) alors que d’autres se refusent à leur supposer une once d’humanité. Une maxime réunit tout le monde : ni pardon, ni oubli.
A propos de la fraternité - colloque du 13 au 15 mars 2014 (publié aux éditions du Geai Bleu)
Les réponses au questionnaire permirent de comprendre que la survie de l’homme dans les camps dépend de son réseau fraternel. Celui qui fait bande à part pour garder ce qu’il peut obtenir ne survit pas.
L’habitude seule solidifie le lien fraternel : se croiser à intervalle régulier permet d’apprendre à se connaître, ce qui est possible dans les grands camps, alors que dans les kommandos le travail de façon plus spontanée.
La fraternité n’était pas automatique mais existait. Elle constituait une condition de survie essentielle.
A propos du corps - colloque du 12 au 14 mars 2015 (publié aux éditions du Geai Bleu)
Si l’humiliation et les blessures morales et psychiques sont profondes, le corps est au centre de la barbarie : corps meurtri, torturé, humilié quand il est rasé et exposé, nu, corps souffrant de la maladie et de la faim ou des expériences biologiques. Corps marchandisé quand les cendres des fours crématoires sont vendues aux fermiers du coin pour fertiliser les terres. Le miracle est naturellement la survie, mais à quel prix ? Le corps continue de porter les traces des blessures. Il est clairement apparu, dans l’approche psychologique, qu’un corps subsiste malgré tout : le corps collectif des déportés, qui se reconstitue lors des assemblées, des pèlerinages, des commémorations.
A propos de l’écriture – colloque du 10 au 12 mars 2016
L’écriture fait partie des moyens de survie. Elle prend la forme de journaux ou de poèmes (cf. poèmes de Buchenwald), de dessins, et contribue à la résistance psychique. Elle témoigne immanquablement de la vulnérabilité. La créativité permet la survie. Mais comment écrit-on l’histoire de la déportation ? Nous avons appris que cette écriture est constamment à renouveller et adapter à la réalité contemporaine pour être comprise. Des aspects comme l’architecture furent abordés et confirment la stratégie meurtrière.
A propos de la religion et de la spiritualité – colloque du 9 au 11 mars 2017
La question de la religion apparaît d’abord dans la judéité et la traque des Juifs qui va conduire à la Shoah. On constate aussi l’implication des religieux, comme le Pasteur Bonhoeffer en Allemagne, ou l’abbé Tanguy en France. Au nom de la foi, on va s’engager corps et âme pour combattre le mal. La religion est vécue dans les camps. On a insisté sur la barraque des prêtres à Dachau où se trouvent à la fois chrétiens et musulmans et où des prêtres catholiques deviennent aumônier des musulmans. L’œcuménisme prend tout son sens dans la détresse. On s’interroge aussi sur la présence de Dieu dans les camps.
A propos de la loi – colloque du 15 au 17 mars 2018
Un aspect inconnu est apparu dans ce colloque : celui de l’engagement de juristes allemands anti-nazis. Il complète des aspects de la résistance allemande qui ont été évoqués dans le colloque sur la religion. Il éclaire la subversion du droit : on fait le mal pour le bien du pays. Le crime entre dans la légalité. La résistance et la fidélité à l’humanisme deviennent condamnables. C’est « La loi du sang ». Ensuite il faudra condamner les bourreaux mais avec quel chef d’accusation ? Le motif de « crime contre l’humanité » est créé et la notion de génocide émerge.
A propos de langue et parole – colloque du 14 au 16 mars 2019
La langue du camp est l’allemand. Le détenu doit connaître son matricule en allemand. La langue est aussi une façon de résister, de maintenir le lien avec les autres, de revendiquer son humanité. Autre aspect : la propagande où le vraisemblable tient lieu et place de vérité. Car il fallut une rhétorique soigneusement mise au point pour convaincre le peuple du bienfondé du crime. Mais la langue, c’est aussi l’expression du traumatisme quand elle se meurt dans le silence après le retour : l’indicible, l’aphasie.
A propos de l’humanité – colloque du 19 au 21 mars 2020 (non tenu en raison du Covid, donc en cours de publication). La réflexion se tient entre deux questions : comment se fait-il que l’homme soit capable du pire ? Comment l’homme résiste-t-il au pire ? L’homme n’est pas mauvais par nature et tous les hommes ne sont pas des bourreaux. Mais sous certaines conditions la catastrophe peut être orchestrée. Le droit seul permet de maintenir la dignité humaine dans un pays.
Cathy Leblanc