Table ronde à propos de la question : peut-on faire justice des camps nazis ?
Blois, 15 octobre 2010
« Compte-rendu sommaire »
Guide de lecture : le lecteur remarquera combien les formations professionnelles des participants à la table ronde et tout particulièrement des déportés leur ont permis d’acquérir les outils spirituels du dépassement. De même, pour les non-déportés, on remarque la mise en perspective à partir du métier de spécialité. C’est, à nos yeux, le travail culturel effectué dans l'acquisition d'un métier qui permet le du travail sens, un sens toujours renouvelé.
Ceci est pour nous fondamental quand nous réfléchissons justement à la manière de transmettre les remparts de la barbarie à travers nos métiers, nos enseignements, nos activités. A chaque perspective correspond une figure de dépassement, ce qui signifie aussi que le dépassement est possible à partir de perspectives radicalement différentes.
Je souhaite donc, dans ce compte-rendu sommaire montrer, en précisant les titres et fonctions de chacun, montrer l'origine du langage utilisé et la spécificité de la pensée formulée, son angle d'attaque.
Mon but n'est donc pas ici, comme il pourrait le sembler à première lecture, d'insister sur les titres et fonctions de chacun mais bien de montrer le caractère complémentaire des perspectives. Mais je ne doute pas que cela ait été compris.
On s'est aussi demandé lors de cette table ronde quel enseignement pouvait bien résulter des expériences d'extrêmes souffrances telles celles vécues dans les camps.
Intervenants présents ou représentés :
Marie-José CHOMBART DE LAUWE, Présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation. Ancienne déportée et résistante. Pédo-psychiatre, directrice de recherche émérite au CNRS.
Raphael ESRAIL, Président de l’Union des Déportés d’Auschwitz. Ancien déporté et résistant.
Sam BRAUN, Ancien déporté au camp d’Auschwitz III. Ancien déporté. Docteur en médecine.
Yves LE MANER, Directeur de la Coupole, Centre d’histoire et de mémoire du Nord-Pas-de-Calais, agrégé d’histoire.
Daniel SIMON.
Cathy LEBLANC, Maître de Conférences en Philosophie à l’Université Catholique de Lille. Petite fille de résistants (je pense que si je n'avais été sensibilisée au contexte historique de la seconde guerre mondiale pendant mon enfance, je serais sans doute restée indifférence à la thématique qui s'est offerte à moi, d'où cette précision).
Une table ronde présentée et animée par :
François-René CRISTIANI-FASSIN, Fils de déporté et journaliste à France-Culture.
La table ronde organisée à Blois autour de la question du « faire justice des camps nazis » eut lieu dans la Maison de la Magie attenante au château royal de Blois. C’est dans un amphithéâtre comble n’ayant pu contenir toutes les personnes qui se destinaient à cette rencontre, qu’a résonné pendant près de deux heures cette même question : peut-on faire justice des camps nazis ? D’emblée cet énoncé suscite de vives réactions s’ouvrant sur les temps qui furent vécus et endurés dans l’univers concentrationnaire.
Raphaël Esrail se dit froissé par l’intitulé de la thématique. Il donne des chiffres évocateurs en insistant sur le fait que l’on ne peut « clore » la question et donc « faire justice ». On ne peut imaginer une fermeture hypothétique du dossier ni même la paix des esprits. Il faut vivre avec le malaise et ne jamais cesser de travailler avec lui, ne jamais cesser de l’éprouver au risque de l’oubli.
Pédiatre de formation, Marie-José Chombart de Lawe évoque le processus de résilience qui repose sur un travail de parole et donc de mémoire : vivre avec le passé grâce à la parole. Dans ce prolongement, elle souligne surtout que le travail des spécialistes (juristes, historiens, notamment) a permis d’attester, contre ceux qui la nient, la réalité des faits.
Sam Braun, très admiratif de Madame Chombart de Lawe qui a très jeune endossé de grandes responsabilités de résistante, précise que vivre dans des sociétés civilisées, c’est aussi refuser le faire justice dont il est question. Il propose que des cours à tous niveaux informent les jeunes des processus de déshumanisation. Pourtant il évoque le travail du pardon, avec beaucoup de grâce et de discernement, qui reste selon lui, un travail de libération de soi-même.
Yves Le Maner rappelle toutefois qu’un cadre juridique a permis de juger et punir certains dirigeants ou gardiens des camps. Il souligne que la mise en place du Tribunal militaire de Nuremberg avait pour vocation de rendre justice des crimes nazis dans la volonté d’une paix durable. Il semble ici que le "rendre justice" comme aussi le "faire justice" prenne une tonalité différente, plus institutionnelle là où l'expression semblait d'abord susciter l'affectivité.
C’est sur la persistance de l’émotion, de la souffrance que Daniel Simon organise son analyse pour évoquer le désenchantement du monde avec Cayrol, Adorno, Celan, Beckett, Kiefer, Cage et bien d’autres témoins littéraires et historiques qui contribuèrent à l’élaboration de cette mémoire collective à jamais en travail.
Cathy Leblanc souligne le sens impossible de l’expression faire justice dans le cas des camps nazis et préconise un soigneux travail d’enseignement visant à rappeler ce qui constitue l’humain et comprendre que la beauté de l’action peut constituer le rempart inébranlable contre la barbarie.
Beaucoup de questions s’élèvent du public : Yves Lescure propose une différentiation entre le pardon personnel et le pardon de l’histoire. Notons que Monsieur Lescure est militaire en retraite : nul surprise qu’il s’interroge sur l’histoire. Jeanine Grassin s’interroge sur la manière dont il convient de prendre en compte les enfants du nazisme. Un témoin déporté fait le récit du crime qu’il a été involontairement obligé de commettre alors qu’il devait brûler les corps : on ne fera pas justice de cette question ouverte à jamais par l’humanité et contre elle-même.