La Saint Valentin, en France est la fête des couples plus qu'une fête voulant célébrer l'amour d'autrui, par-delà le couple et les frontières, comme cela est le cas aux Etats-Unis. Pays de l'amour –au moins pour le cliché- oblige, cette pensée de l'altérité est toute monopolisée par le couple français. Pourtant on commence à étendre l'expression de ses souhaits à d'autres personnes, à faire œuvre de sollicitude, de bienveillance, à vouloir être généreux, à reconquérir cette sensibilité sans laquelle nous ne serions pas humain, sans laquelle la dignité humaine ne posséderait la profondeur qui l'honore.
Pourtant, la pauvreté s'accroît de jour en jour et quelle ne fut pas ma surprise la semaine dernière, alors que je me rendais à Lille, de constater la présence d'un grand nombre de sans-abris, épars ici et là, à l'abris d'une voute, à l'abris d'un toit ou exposés au vent froid du Nord Est. J'avais honte : honte que dans ce pays, l'on ne sache pas trouver les moyens de dispenser la charité nécessaire au maintien de la dignité. Moyens financiers mais aussi moyens intellectuels. N'est-on pas capable d'envisager un modèle économique comparable à celui qu'a innové Amartya Sen, pour faire en sorte de déverrouiller le dynamisme économique et l'échange entre les couches sociales ? J'avais honte également parce qu'au delà des solutions politiques et économiques, les passants semblaient souvent se contenir dans l'indifférence en se forgeant de bonnes raisons pour ne pas s'apitoyer, comme si cela constituait une faiblesse et pourtant cette sensibilité qui rend le spectacle de la souffrance insupportable n'est-elle pas cela même qui construit notre humanité. Quand on n'est plus capable de s'apitoyer, de modifier sa trajectoire pour panser un peu cette souffrance, ne laisse-t-on pas entrer en soi un peu du monstrueux qui pave la barbarie ?
Et l'on se demande si la médiatisation de certaines questions ne génère pas elle aussi cette inhumaine barbarie. Je pense en particulier aux ouvriers de Toyota : ils sont présents en masse, à l'usine de Valenciennes ici dans le Nord. On vient d'annoncer en grandes pompes trois rappels et le résultat sera catastrophique économiquement et humainement. Pourtant, on ne se pose pas la question de savoir ce qui se trouve derrière la médiatisation de ce problème industriel ni d'ailleurs quelle ampleur il revêt réellement. Après m'être informée, j'ai appris que le problème de la pédale d'accélération était d'avoir été serrée trop fort si bien que le mouvement n'est pas suffisamment libre. Le moteur ne s'emballe pas ni la pédale mais il y a un léger frottement résultant d'un trop grand serrage sur un très petit nombre de véhicules. Alors si l'on compare la publicité faite à cette histoire, au problème réel, on se demande si l'on a pas été abusé et l'on se demande aussi à qui cela peut profiter. Toyota a dépassé un géant de l'automobile et peut-être sommes-nous alors simplement mais de façon très efficace l'objet d'une manipulation digne de Duplicity : film américain portant sur l'espionnage industriel et la manipulation avec Julia Roberts et Clive Owen. La mauvaise publicité faite à Toyota aura pour effet de faire tomber cette entreprise et le géant en question reprendra sa place. Au-delà de la compétition, des milliers de personnes perdront leur emploi et la pauvreté s'accentuera encore.
Voilà... alors puisqu'on célèbre l'amour aujourd'hui, peut-être devrait-on mettre un peu plus en lumière les enjeux de certains problèmes de manière à protéger ceux qui peuvent encore vivre de leur emploi.