Un colloque sur le thème du pardon à l’épreuve de la déportation s’est tenu du 10 au 12 mars derniers à l’Université Catholique de Lille et était hébergé par la Faculté de Théologie. Ceci est déjà significatif. En effet on se représente souvent une faculté de théologie comme le lieu où s’exerce la croyance, une croyance étroite, où l’on forme ceux qui vont seulement dispenser cette étroite croyance, avec autorité et où le dialogue ouvert n’est pas opportun.
Quand j’ai été recrutée à la Faculté de Théologie de l’Université Catholique de Lille, en qualité de Maître de Conférences en philosophie, j’ai été surprise de constater à quel point le dialogue était ouvert et que bien au-delà d’un souci pour la croyance, c’était un véritable engagement pour l’humain qui était là à l’œuvre. Je ne peux dire le plaisir que j’ai éprouvé quand j’ai compris qu’alors, j’avais carte blanche pour m’engager sur ce terrain : c'est-à-dire bel et bien celui de l’humain. Dans le discours qu’il proposa à la table ronde du samedi, le Père Hubau, Professeur en théologie, l’a bien rappelé : la Bible est d’abord un livre de sagesse. Et de la sagesse, il nous en manquera toujours et toujours plus à proportion que croitra la violence, la xénophobie, soit-elle sous la forme d’un antisémitisme évident ou d’une haine de toute catégorie qui s’apparente à la différence : différence de peau, différence de culture, différence de croyance, différence d’engagement. Le combat qui s’y livre est donc bel et bien un combat contre l’intolérance avec toutes les formes qu’elle peut revêtir. Il inclut une réflexion profonde et attentive sur ce qu’il est possible de mettre en œuvre pour essayer de préserver la dignité humaine où qu’elle se trouve.
Alors, je voudrais dire toute la joie qui fut mienne lorsque la Faculté a donné spontanément son aval pour soutenir la tenue et l’organisation d’un colloque sur le pardon à l’épreuve de la déportation. C’est là une grande chance et la volonté de cette institution de soutenir cette thématique doit échapper à tout réductionnisme qui voudrait que l’on se contente d’y prêcher. Non, que fait-on à la Faculté de Théologie ? On lit les textes anciens, textes sacrés issus de cultures différentes, on entretient le dialogue entre les religions, on essaie de les comprendre (psychanalyse des religions), on dispense aussi un enseignement de philosophie que l’on souhaite à la fois formateur (histoire de la philosophie) ou engagé (philosophie des droits de l’homme, centre d’éthique). On se met aussi à l’écoute des différences et l’on accueille la différence : différence d’orientation, de méthode, de perspective.
Le colloque a donc rassemblé des personnalités provenant d’institutions différentes : les institutions appartenant directement au monde de la déportation (Association Buchenwald-Dora et Kommandos, Fondation pour la mémoire de la déportation, Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, ONAC), mais aussi des associations à but humanitaire comme l’Association Valentin Hauy (donneurs de voix) qui a permis une lecture professionnelle des témoignages envoyés par les déportés ou leurs enfants, et finalement, des institutions académiques diverses (Lycée de Melk[Autriche], représenté par Karl Thyr, Professeur en philosophie, Université de Milwaukee[USA] représentée par le Professeur Pol Vandevelde, Institut d’Etude des Faits religieux hébergé par l’Université publique d’Artois, Institut Catholique de Lille). Il faut aussi mentionner le soutien de la Ville de Lille pour la séance publique du samedi. Le colloque était tout sauf « privé ».
Je voudrais dire à quel point je suis heureuse de cette mutualité dans l’effort et je voudrais encore dire que je souhaite pouvoir accroître cette mutualité à l’avenir.
Les nombreux dialogues qui ont eu lieu ont montré que non seulement les personnes qui s’étaient inscrites au colloque (plus d’une cinquantaine au total et finalement), mais aussi les intervenants, étaient préoccupés par cette question du pardon, tant au plan diplomatique et politique –elle prend alors la forme de la réconciliation- qu’au plan personnel. Ces dialogues ont montré qu’il pouvait y avoir un lien entre l’impossibilité d’accorder son pardon à des tortionnaires, ce qui est tout à fait légitime, et l’impossibilité, en écho, de le dispenser dans sa vie quotidienne. Nous avons compris que l’épreuve de la déportation ne concernait pas seulement des personnes à un moment donné de l’histoire mais qu’elle entraînait des difficultés pour la descendance et pour la représentation de certains concepts.
Au sortir de ces trois jours de réflexions mais aussi de bonne humeur où les uns les autres ont fait connaissance des uns et des autres, ont trouvé intérêt dans ce que faisait les uns les autre, nous ne pouvons qu’espérer poursuivre l’entreprise et j’espère vivement que ce colloque sera le premier d’une série de réflexions thématiques qui permettra aux uns aux autres de se rapprocher, de se comprendre, de s’entre-aider et de s’apprécier dans le respect et la dignité posée par la Déclaration Universelle des Droits de l’homme comme un bien inaliénable. Je vous remercie.
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Cathy Leblanc,
Maître de Conférences en Philosophie,
Responsable du cours de Philosophie des Droits de l'Homme
Membre du réseau des Femmes Philosophes de l'Unesco.