A l’approche des fêtes de fin d’année et parce que leur préparation met en œuvre un cruel contraste entre d’une part les happy fews qui ont la chance de célébrer et les autres, les déshérités, les malheureux, les solitaires, les vagabonds, les prisonniers, les malades, etc. etc., j’aimerais entamer ici une réflexion sur la compréhension et son rapport à la souffrance.
Peut-on comprendre la souffrance d’autrui ? Qu’est-ce que comprendre la souffrance sinon s’engager ? Oui, mais alors, cet engagement n’a rien d’un engagement rationnel, d’un engagement qui suit seulement la voix de la raison. Il s’agit d’un engagement résultant de cela que le cœur ait su entendre, ait voulu écouter un cri venu de nulle part, un cri envoyé par quiconque.
Alors si nous voulons parler de compréhension, il faut prendre ce terme dans toute l’amplitude de son sens : la compréhension prend son objet avec (cum) elle et s’engage dans ce lien. Elle se rend ainsi toute disponible alors que par cette disponibilité elle allège une souffrance qu’elle a seule pu entendre, écouter, cette souffrance là étant bien souvent cachée, dissimulée, enfouie au creux de nul lieu. L’indicible. Le merveilleux résultat auquel elle peut s’attendre est une forme de réhabilitation de l’homme en l’homme, de la vérité de l’humain en l’humain, c’est-à-dire le retour à une jouissance pour l’être ayant souffert de ses pleines capacités émotionnelles et intellectuelles, de ses capacités à espérer, à construire, de ses capacités à vaincre l’usure du temps, à vaincre l’amertume, de ses capacités à demeurer dans la pleine essence de son humanité.
Vouloir pour quelqu’un un tel projet, c’est aussi l’aimer, mais c’est amour-là, cet amour désintéressé se situe bien au-delà d’un attachement ordinaire ou même d’un rapport de possession car nul n’appartient à personne qu’à lui-même, et encore… Et s’il incombe à l’éthique de dicter quelque chose, alors cette chose peut-elle différer d’un respect complet, intégral, vis-à-vis de ce qui devant elle, manifestement, se réalise ? Peut-elle différer d’un laisser-être de cette réalisation qui nécessite alors de toute urgence que le contexte se recompose, s’adapte, s’accommode, en vue de cette essentielle liberté sans vouloir la comprimer, la contraindre, la meurtrir, la torturer.
Il est bien des situations où quelqu’un, quelqu’une saura entendre cette souffrance : en société, dans la rue, dans un cercle d’amis, dans une réunion, etc. Il est également bien des situations où personne ne la verra et où, pour reprendre ce que je disais à propos de l’indifférence, cette souffrance là restera lettre morte, enfouie profondément sous l’apparence d’un beau tableau tout comme le cri qu’elle peut lancer restera à jamais en silence.
Mais notre humanité ne consiste-t-elle pas d’abord à écouter, à nous rendre disponible, à laisser être la réalisation lumineuse des êtres qui ainsi nous entourent et savoir ensuite, nous émerveiller qu’ils aient pu renaître à eux-mêmes, dispensant autrement toute l’humanité dont ils deviennent alors garants ?