A propos de l’homme des cavernes du XXIème siècle...
A une époque où l’on vente le progrès, la technique, où l’on sait effectuer des manipulations génétiques, où l’on envisage d’introduire via les vaccins un système de puces électroniques et microscopiques dans le corps humain, où l’on est capable de manipuler l’énergie de la stratosphère (cf. projet HARP), voire de changer la couleur du ciel, à une époque dont on estime qu’elle est la preuve de progrès considérables et où les risques s’accroissent néanmoins proportionnellement au niveau de développement technologique, on n’est pourtant pas encore sorti de pratiques moyenâgeuses. Pourquoi ?
Celles-ci apparaissent comme une résistance au fond primaire ou primale qui nous habite et qui veut par exemple qu’un étudiant, pour garantir son anonymat dépose, en temps de grippe A, sa salive sur le revers de sa copie. On fera de même pour les timbres postes, bien aspergés qui voyagent dans tout le globe et l’on s’étonnera des risques de pandémie. Il est pourtant interdit de « cracher » puisque c’est le nom de la pratique, dans les lieux publics. Mais ne pas utiliser la salive, c’est-à-dire « cracher » sur un timbre fiscal pour l’adjoindre à un procès verbal peut coûter très cher, de même que nous trouvions qu’il était délictuel de sourire sur les photos d’identité (cf. article précédent). L’anthropologie trouvera peut-être du sens dans l’équation qui rassemble le crachat d’une part et l’anonymat de l’autre et dans cette autre équation qui rassemble, elle, le crachat d’une part et le paiement de la taxe postale de l’autre. Comme c’est bizarre, comme c’est étrange ! Quel est ce singulier formatage de l’humain ?
Autre vestige de notre habitation massive des cavernes, des instincts là aussi tout aussi primaires et primitifs, le regroupement en masse sur les quais de métro non protégés. Il semble plus important aujourd’hui d’étendre les réseaux que de protéger les usagers, cinq pour cent de perte annuelle, c’est une proportion qui ne garantit pas un changement de stratégie dans les transports urbains. On se souvient pourtant d’un témoin qui vit un corps se faire couper en deux sur la voie et demander de sa moitié encore vivante, de l’aide au passant paralysé par la stupeur. De même il est plus important de faire décoller un avion, pour certaines compagnies, avec à bord un passager inconscient et peut-être victime d'un AVC, que de faire venir des secours compétents. Que faut-il donc pour que l’on prenne les mesures nécessaires à la protection des usagers et pour que l'on replace l'humain d'abord ?
Enfin, un vestige ou une réminiscence qui ne résiste pas au plaisir de cette plume électronique : l’hygiène des français. Alors que les sondages affichent 98% de lavages de mains réguliers, on constate pourtant en temps réel, que certains usagers de toilettes publiques ne font pas le détour par le robinet et le savon. Nulle surprise de les voir ensuite s’acheter un petit pain au chocolat bien croustillant et une boisson chaude. Lorsque j’étais enfant, il existait des campagnes favorisant les mesures d’hygiène ("on va se laver les mains avant de manger"). Nous en avons vues pendant l’épidémie de grippe cet hiver mais à seule visée de prémunir les citoyens de risques indésirables. L’hygiène en tant que telle, pour elle-même et en elle-même ne semble plus être l’apanage du progrès. On peut désormais se balader avec des mains souillées et consommer de la nourriture sans prendre la précaution du robinet ou encore acheter des déodorants qui garantissent l’absence d’odeur pendant 24 ou mieux 48 heures ! Redevenir sale.
Ce manque de soin, ce manque d’attention est-il l’apanage de nos sociétés modernes ? Quand j’étais petite, on me disait de ne pas poser d’argent sur la table parce qu’une pièce de monnaie ou un billet voyage partout, n’est pas lavé et est couvert de microbes. Tout cela a disparu. Disparu aussi les lacets que l’on prenait soin de bien serrer pour maintenir le pied. La bonne vielle chaussure en cuir a laissé place à des tennis ouvertes, sans lacets, et non moins onéreuses que ces mêmes chaussures. On préfère aussi se tenir courbé sur son livre, sans ménagement pour sa colonne vertébrale. Mais alors pourquoi afficher ce manque de soin ? Quel est le message ? Pourquoi les générations qui arrivent fuient-elles l’aspect formel que pouvait revêtir la vie quotidienne sous des aspects variés mais attractifs ? L’orthographe, nous en avons parlé, passe aussi à la trappe dans cette fuite : on préfère le SMS en écriture phonétique, sans accord grammatical à d’autres formes linguistiques. Faut-il donc croire que la raison fournit des outils à notre insigne paresse ? Faut-il donc croire que l’exigence est devenue une enfreinte, voire une forme de harcèlement au point que des élèves en viennent à se défendre, voire à attaquer les profs.
Quand décidera-t-on d’inverser la tendance et de restituer le goût du soin et de l’effort ? Quand décidera-t-on de réfléchir sur notre ancrage animal. Est-ce l’animal que nous rappelons en nous quand nous abandonnons l’hygiène ? Quelle est aujourd’hui, dans le monde que nous vivons, le rôle de cette part animale ? N’est-elle pas en train, via la technologie, de se substituer à notre raison, à ce contrôle que nous avions sur nous même ? Quand l'humain perd pied en lui-même...