La catégorie récemment créée de l’homme des cavernes en référence à l’animalité en œuvre, semble-t-il de plus de plus, dans des espaces où elle crée une véritable préoccupation, se propose comme base d’un travail de négativité à la pédagogie contemporaine.
Je discutais hier avec une collègue qui enseigne auprès d’adolescents pour lesquels elle a grand souci. Et la philosophie voudrait proposer des outils qui soient aussi des outils efficaces pour palier à ce souci des êtres en devenir et d’un certain état d’abandon dont les générations plus âgées ne comprennent pas bien à quoi il correspond, de même les raisons pour lesquelles ces adolescents s’exposent à un risque toujours plus grand.
Par ailleurs, la lutte contre la barbarie, pour l’humanité, pour une certaine humanité vue dans son accomplissement nécessite une observation des faits et gestes qui peuvent sembler anodins mais qui ne sont pas.
Quelle est la question : comment transmettre un idéal d’humanité aux générations à venir ? Quel idéal d’humanité pouvons-nous leur faire admirer ?
Oui, c’est effectivement cette question qui me taraude.
Enfant, j’ai très vite appris la musique. Non que je sois issue d’un milieu favorisé mais c’était l’époque des écoles municipales de musique où pouvait entrer tout un chacun, y apprendre le solfège, la théorie, une pratique instrumentale et faire partie de l’harmonie municipale. Là on jouait des œuvres dites « classiques », c’est-à-dire la musique de compositeurs reconnus par l’Institution, à savoir le conservatoire. Nous passions des examens de niveau et très motivés, nous cherchions à atteindre l’excellence. Les parents des autres enfants étaient verriers, mineurs, artisans, banquiers, infirmiers. Le niveau social n’avait aucune importance, nous faisions partie de la communauté musicale de la ville et étions tous tendus vers la réalisation de belles œuvres.
Cette exigence, outre le plaisir de la réalisation qu’elle permettait, était aussi une exigence que nous nous imposions à nous-mêmes et que nous allions pratiquer au jour le jour, dans chacun de nos actes. Chercher la précision, la tenue, la beauté aussi.
Pour ouvrir une parenthèse, cette école de musique était aussi l’école de la tolérance quand bien même elle était motivée par l’exigence. Tolérer n’est pas renoncer, tout au contraire. Et quand je parle d’école de la tolérance, je ne veux pas dire, tolérance de l’indifférence ou du désengagement, mais tolérance vis-à-vis de la différence. Nous étions tous, dans cette communauté, partie prenante d’une même œuvre et nous accompagnions les uns et les autres, musicalement, dans leurs cérémonies religieuses.
C’est cet idéal que j’ai gardé au creux de mon esprit et que je souhaiterais transmettre aux générations qui arrivent et j’avoue que je frémis quand j’entends mes jeunes recrues parler de leurs sorties en boîtes, très arrosées ou ponctuées de quelques prises de je-ne-sais-quoi. Je frémis car je sens le risque qu’ils courent, d’une part, et, d’autre part, je me désole qu’avec tout leur talent, ils ne puissent pas accéder à cette joie profonde que nous éprouvions dans le type de société musicale dont je viens de parler. Et je suis certaine que là, dans ces milieux que je qualifie de milieux d’abandons, on n’éprouve pas cette grande joie, la fierté d’être, le bonheur d’avoir tous ensemble, créé l’émerveillement, d’avoir su faire rêver, l’espace d’une œuvre musicale.
Je pense que profondément cet idéal s’accompagne du souci esthétique qui motive la réalisation de l’œuvre et reste articulé avec une sensibilité qui lui est propre. Mais je ne pense pas que la manière dont nous abordons la technique aujourd’hui, même si beaucoup de ses connaissances concourent à apporter du bien-être ou un surplus de santé, le contexte et le sens que prend ce contexte, tout comme les avatars de la technologie convertie au monde des loisirs, protègent encore ou construisent encore cet idéal d’humanité.
Une régression semble même présente. Elle a rappelé à son service l’emblème de la femme-objet tellement combattu par un féminisme d’avant-garde. Et les prouesses sexuelles de nos ados, pour une part de ces ados, constituent désormais leur objet de fierté. C’est pour toutes ces raisons que j’en suis venue à parler, dans le dernier article en partant du crachat sur le timbre-poste, et en passant par l’absence d’attention, à ce me semble, une absence de progression du projet-humanisant de notre société.
Autre preuve de cette régression : les heurs et malheurs non pas du voile, mais de la femme voilée. Oui, il est question de stigmatisation, là où le faire-droit de la justice s’impose devant la pédagogie. Alors… supprimons un fonctionnaire sur deux et remarquons aussi que dans cette violence verbale on ne parle pas de supprimer un poste de fonctionnaire sur deux, mais bien un fonctionnaire sur deux. La violence fait rage et la résultante en sera de façon coïncidente et qui n’a pas directement à voir avec la suppression du dit fonctionnaire sur deux, mais lui est indirectement liée, la mort de quelques « suicidés ». Génocide indirect ?