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13 janvier 2010 3 13 /01 /janvier /2010 22:42

Ce mercredi 13 janvier 2010, j'avais rendez-vous avec Daniel Simon et Chantal, respectivement le Président de l'Association des Anciens Déportés de Mauthausen et la personne qui se charge de la communication. Il est question d'organiser le prochain congrès de l'Association à Lille et de proposer l' exposition de plusieurs séries de clichés qui ont été pris dans les camps.

            Là encore, je découvre ce dont l'être humain a été capable et parfois je me demande si la barbarie n'est pas tout simplement de la folie. Aujourd'hui un étudiant a assassiné une secrétaire à Perpignan. Cela a-t-il du sens ? Doit-on finalement en chercher ? Le sens semble se démultiplier dans le contexte de la barbarie et je n'avais pas conscience, quand je parlais de la démesure, de cet aspect-là de la démultiplication. Mais l'étendue est telle qu'elle échappe à toute prise rationnelle, un peu comme si, au fond, on ne pouvait pas saisir : tenir là, dans le creux de sa main, cette amplitude remplie de néant et vidée de tout. Un rien shakespearien, le rien éprouvé par Hamlet contemplant tel Pythagore assistant au spectacle du monde, l'arène en train de se déchirer.

            Quel espace, quelle forme. Et pourtant au beau milieu de cet informe se trouve l'immense beauté des gestes du peu et de l'infortune. Immense est peu dire, faut-il lui préférer infini ?

            Daniel me montre l'ouvrage qui contient ces photos, une multitude, une démultiplication de photos nazies représentant le bon ordre qui règne dans les camps, représentant les beaux officiers tirés à quatre épingles et se faisant tirer eux-aussi le portrait, mais représentant surtout l'infâme misère : là, un tas de cadavres, comme on dirait un tas de pommes-de-terre, jonché là. A côté, un homme portant ce costume rayé si caractéristique, un bloc de papier et un crayon à la main. Il scrute attentivement un point dans ce tas de chair morte et si l'on regarde bien, on se rend compte qu'il s'agit du visage d'une femme. Au dessus de l'épaule de cet homme se tient un autre homme qui regarde ce qui apparaît sur la feuille de papier avec l'esquisse d'un sourire. Que se passe-t-il ? Le premier est artiste et fait l'ébauche du visage de cette femme dont il ouvrira les yeux comme pour lui rendre la vie. Le second, dans l'abîme sis entre l'horreur et la beauté du geste esthétique, se trouve humainement dans une situation d'émerveillement. Le peintre redonne la vie.

            J'avouerai que c'est la première fois que je ressens cette puissance du geste esthétique qui apparaît quelque peu comme un acte de langage. Il change la réalité qu'il nomme et qu'il déforme un peu. Il la fait passer du côté de la vie. Geste de résistance par excellence.

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30 décembre 2009 3 30 /12 /décembre /2009 10:48

La réflexion qui suit émane d'une conférence donnée à l'Institut Catholique de Paris le mardi 8 décembre 2009 de 10.30 à 12.00. par Monsieur Badinter.

La responsabilité des propos m'incombe. Il ne s'agit pas ici de reproduire les propos de Monsieur Badinter mais d'ouvrir une réflexion qui repose sur des problèmes que j'ai essayé de mettre en lumière et qui doit pouvoir s'adresser à tous, toutes orientations politiques confondues.

 

D'emblée Robert Badinter refuse de se situer dans le champ de la philosophie. Il ne veut pas questionner le contenu, la notion ou l'idéologie des droits de l'Homme. On estime donc qu'il effectue un bilan sociétal, politique et historique. Pourtant ses propos nous invitent à une réflexion philosophique et c'est une réflexion de ce type que nous nous proposons d'ouvrir ici à partir des propos qu'il a tenus.

 

Robert Badinter nous rappelle qu'il y a eu des régimes qui se sont opposés radicalement aux droits de l'homme et évoque à cet égard le régime nazi. Le totalitarisme ou les totalitarismes s'affirment effectivement en violation des droits de l'Homme. Cependant, une difficulté se pose d'emblée. Comment est-il possible d'affirmer et de prouver que tel ou tel totalitarisme n'est pas au contraire dirigé en faveur du peuple ? Comment surmonter la démagogie qui pèse ainsi sur les esprits ? Quelles preuves apporter ? Comment faire comprendre à un esprit embrigadé que la suppression de telle ou telle race qui le menace n'est pas un bienfait ? Comment même prouver que la peine de mort est un progrès pour l'humanité toute entière ? Il y a là, à mon humble avis, un vide argumentatif qui pose le problème de l'éducation mais aussi des valeurs.

 

Monsieur Badinter est conscient du risque de ce relativisme et il n'évoque pas les valeurs en tant que telles. Comment, en effet, échapper à l'idée d'une tyrannie des valeurs en matière civilisationnelle ? Pourquoi et à quel titre, l'Occident qui a aboli la peine de mort serait-il plus civilisé que tel ou tel pays qui prescrit la lapidation de la femme soupçonnée d'adultère ou de la femme s'étant adonnée à l'adultère et que l'on considère dans ce cas coupable au sens juridique du terme ? Cette culpabilité, si elle reste une culpabilité morale dans les démocraties occidentales –encore qu'elle puisse être une culpabilité juridico-politique aux USA, ce que nous avons vu avec l'affaire Clinton/Levinsky et bien qu'ici ce soit un homme qui fut considéré "coupable"- n'entre pas dans la sphère de l'enfreinte criminelle. Notre condamnation reste donc morale alors que la condamnation qu'en fait le pays qui condamne ainsi l'adultère l'érige en enfreinte pénale. Comment et à quel titre peut-on faire valoir la supériorité de l'abstraction qui transforme ce type d'enfreinte en une enfreinte morale sur un système pour lequel cette enfreinte reste concrètement condamnable ?

 

Peut-on légitimement et aux yeux de tous, instituer un système de valeur qui voudrait que l'Occident soit plus avancé que l'Autre, que les autres sans se placer dans une démarche qui a tout d'un impérialisme moral et juridique ? Comment dépasser ces contradictions ?

 

Nous trouvons une réponse possible à toutes ces questions chez Monsieur Badinter : la notion de "noyau dur", qui a tout –excusez du peu- d'un concept philosophique et qui fait référence au sentiment, à cette certitude sensible irréductible du bienfondé du respect de la vie et de l'égalité. Et de nous demander s'il existe véritablement et universellement une idée, un sentiment du juste et une idée accompagnée d'un sentiment de ce que les modalités du juste peuvent être pratiquement dans la vie du citoyen ? Enfin... nous parlons bien du citoyen, n'est-ce pas ?

 

Le problème est que même cette notion de citoyenneté constitue une difficulté majeure. Rappelons que la femme suisse ne devient citoyenne qu'en 1971 ! Rappelons aussi, pour la petite histoire, que lors de la première candidature féminine pour la présidentielle en France, la seule réaction d'opposition, de quelque parti politique qu'ait été issue cette réaction, fut la moquerie et la réduction en ridicule, là où l'argumentation aurait constitué une bataille à armes égales. Et Monsieur Badinter de souligner que la France n'est pas exempte de la violation des droits de l'homme. On pense à la parité mais aussi à la question de l'immigration et l'on se demande si la reconduite d'étrangers non légitimement admis sur le sol français, dans des pays en guerre ne constitue pas justement une enfreinte de la déclaration universelle des droits de l'Homme. On a estimé qu'il n'était pas économiquement soutenable d'offrir l'hébergement aux populations clandestines, fussent-elles en détresse. On a également condamné la solidarité dont avaient fait preuve les calaisiens envers les réfugiés de la jungle. Et tout ceci ouvre sur des contradictions sur lesquelles nous avons le devoir de travailler. En effet, il y a contradiction entre la faute consistant à aider celui qui est là illégalement et le délit de non assistance à personne en danger. On ne dit pas "non assistance à français en danger" ou "à national en danger" mais bien "à personne en danger". Il y a contradiction entre la charité, notion morale que l'on retrouve aussi dans les religions, et la mise en péril de la masse citoyenne. Le noyau dur de ce qui constitue le sentiment du juste est donc aussi "chez nous", bien problématique et le problème vient ici de la compatibilité entre économie et humanisme ou universalisme si bien qu'il convient de réfléchir instamment à la conception d'un nouvel ordre mondial qui puisse aussi être un ordre moral économiquement solide.

 

Ce Problème trouve une illustration parfaite dans les rapports diplomatiques avec la Chine. Et Monsieur Badinter d'affirmer qu'il ne faut pas transiger sur la question des droits de l'Homme, qu'il est possible de séparer le monde des affaires d'une part et celui du respect de la personne de l'autre. La difficulté devient celle du boycott des produits de tel ou tel pays et la fragilisation de l'économie. Or une économie prospère doit permettre d'éviter la pauvreté et les morts relatives à la pauvreté. Donc le deal n'est pas simplement binaire. Il est binaire à double niveau et ne pouvant ignorer la nécessité de l'équilibre économique pour les conséquences humaines qu'il engendre, la seule solution trouvée ce jour est une solution d'insatisfaction : celle d'un discours récurrent sur la nécessité du respect de la personne articulée à la poursuite néanmoins des accords commerciaux.

 

On ne conclura pas à propos de tout ceci mais ce que je tenais à mettre en lumière, c'est la nécessité flagrante du développement de l'éducation et de l'éducation du respect qui seule peut conduire les peuples dans leur diversité à une grandeur d'âme telle qu'elle dissolve les conflits et les apaise. La pratique artistique, littéraire, les sciences Humaines, l'étude des religions aussi en tant qu'elle témoigne de la volonté d'un dépassement spirituel (et non de l'instrumentalisation d'un contexte spirituel à des fins radicales), constituent certainement et solidement la matière capable de venir à bout de la contradiction. Le débat est ouvert. Cathy Leblanc.


                                                                                                    

 

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30 novembre 2009 1 30 /11 /novembre /2009 09:23

 

Compte-rendu

 

Le mercredi 25 novembre eut lieu à la Faculté de Théologie de l'Université Catholique de Lille, une après-midi de réflexion sur la violation des Droits de l'Homme en Bosnie de l'Est. Tout au long de la conférence dont le titre était "Ecrire la terre : la géographie du génocide en Bosnie de l'Est", puis pendant le film, ce sont les modes opératoires de cette violation qui ont été mis en lumière.

Il s'est agit principalement d'une distorsion de la vérité géographique. L'assaillant serbe prend possession du terrain : le terrain public, le terrain et les propriétés privés mais il prend aussi possession des corps dont il dispose à loisir soit en les vouant à l'extermination par balle, soit, pour le cas des femmes bosniaques, en leur imposant des grossesses destinées à perpétuer la race serbe, dans des camps prévus à cet effet.

Après le conflit, les traces de cette violence insoutenable restent présentes et le travail de restauration qui débute alors est tout également un travail de réflexion sur ce qui constitue un peuple en sa dignité. Que faut-il rendre pour que l'homme violé en ses droits, meurtri en sa chair, cet homme qui a vu toute sa famille exterminée sous ses yeux retrouve une possibilité d'être ? Que faut-il faire pour que l'ensemble que constituent ces hommes retrouve sa cohésion et sa cohérence ? Comment faut-il considérer la question de l'identité des enfants des viols raciaux ? L'identification des ossements retrouvés épars dans de multiples charniers est-elle la meilleure façon de permettre aux familles de faire leur deuil ? Ces questions sont d'une extrême importance pour trois raisons :

a) Tout d'abord c'est encore tout un peuple qui est en souffrance et qui a besoin d'aide, de beaucoup d'aide d'autant que ce peuple ne jouit pas encore complètement des accords de Dayton qui sont eux aussi violés : en témoignent les panneaux indicateurs qui ne portent que l'écriture cyrillique et non la signalisation bilingue comme cela avait été prévu par ces accords.

b) Ensuite, si nous avons là un exemple parmi d'autre de barbarie, un exemple en grand, ce qui se passe en petit dans nos sociétés se trouve éclairé par une exigence nouvelle.

c) Finalement, ces questions ressortent de notre capacité à les poser, de notre capacité à être dérangé par l'injustice, de notre capacité à apporter notre aide, notre solidarité à ce qui souffrent dans une indifférence consternante.

Nous remercions David Pettigrew, Professeur à la Southern Connecticut University de nous avoir exposé son analyse de la question de la violation des droits en Bosnie de l'Est à l'aune d'un fil directeur : celui de l'écriture de la géographie. Le philosophe prêta main forte au réalisateur (son fils) pour nous présenter un film dont les images ne doivent pas faire oublier qu'elles ont été tournées à deux heures d'avion de chez nous. Nous remercions et félicitons Jonah Quickmire Pettigrew, metteur en scène diplômé de la Tisch School de New York et pour cause ! Merci également à Dominique Durand, sociologue et Président de l'Association Française Buchenwald-Dora et Kommandos d'être venu éclairer le débat de questions cruciales.

                                                                                    Cathy Leblanc

Pour toute information et si vous souhaitez lire le texte de la conférence, merci de nous contacter à cathy.leblanc2@wanadoo.fr

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15 octobre 2009 4 15 /10 /octobre /2009 15:21

 

Conférence proposée le 20 octobre 2007 au centre de recherche CECILE de Lille 3, lors d’un colloque inter-disciplinaire sur ce thème de la barbarie.

 

            Déni d’humanité : les exemples de barbarie foisonnent. Le terrorisme en tout genre fait des milliers de victimes physiques et morales. Le petit écran nous rappelle à l’heure du dîner, que la torture est toujours perpétrée. Nombreux sont les anonymes qui se précipitent autour des bouches d’égout tiédies par les rejets de vapeurs nauséabondes, les soirs de Noël dans les rues de Paris. Barbarie sociale. Au même moment, la quotidienneté de certains d’entre nous a pu devenir insoutenable sous le joug de la maladie. La barbarie se définit comme ce qui nous empêche de jouir d’un droit fondamental : celui de notre humanité dans son expression la plus simple, comme ce qui a pu convertir l’existence en un véritable calvaire.

Injustice. Souffrance. Parler des manifestations de la barbarie provoque invariablement un frisson pourtant familier qui se met à courir à la surface de notre épiderme. Il s’agit de la réaction provoquée par l’effroi surgissant comme par réflexe quand nous rencontrons quelque chose de fondamentalement étranger à notre essence. En ceci parler de la barbarie est une contradiction qui convoque construction (discursive) d’une part et destruction (de l’humanité) de l’autre. Nous mettons alors en œuvre une capacité fondamentalement humaine  afin d’aborder ce qui s’oppose radicalement à l'humain. Cette contradiction nous amène à nous demander s’il sera jamais possible de dire un jour que l’on « comprend » la barbarie. Et pourtant, saurait-on affirmer que cela est tout simplement « impossible » ? Cet énoncé n’est pas satisfaisant car l'éthique nous interpelle et nous invite à ce discours. Reste à savoir comment mettre en œuvre cette pensée de la contradiction. Comment faire apparaître ce qui se contredit soi-même en se disant et qui ne saurait être tu ? C’est la question du discours possible qui se pose, là où l'impossibilité est tout simplement inacceptable. Taire, c'est nourrir l'objet ainsi posé, c’est accepter là où dire est dénoncer, renoncer. Il faut pourtant annoncer la volonté du contraste radical, redire le sens. L'impossible dire est de l’ordre de l’impossibilité éthique et, par conséquent, pragmatique. La possibilité qui a donné lieu à l'acte barbare résulte d'une violation, elle n’est donc possibilité que par usurpation. Elle est ce qu'elle n'est pas tout en étant ce qu'elle est pourtant. Il n’est pas anodin de retrouver ce chiasme du possible et de l’impossible chez Hamlet : être ou ne pas être, probablement inspiré par Euripide que site Platon dans le Gorgias :

« qui sait si vivre n’est pas mourir et si mourir n’est pas vivre » (492c-493b)

 

C'est en effet l'éthique qui tient lieu de garantie à la possibilité intellectuelle de prononcer du discours sur la barbarie. Débordement essentiel, l'éthique concerne tous les domaines de la vie : ils la regardent tous. Cela dit l’éthique ne se prolonge pas nécessairement dans le juridique et les lois ne régissent pas le domaine de la pensée, soit-il celui de la barbarie. Chacun a le droit et la possibilité pragmatique de pénétrer tout domaine et de concevoir le pire des scénarios si tant est que cela reste dans le champ de la pensée qui n’est pas de l’ordre de l’éthique car l’éthique ne commence qu’avec l’action. C’est un peu comme si l’on ne reconnaissait qu’une existence virtuelle à la pensée, comme si l’exercice de la pensée n’avait aucun effet. Au nom de la liberté pragmatique –et non de la liberté éthique qui est d’abord une limitation, même si elle est limitation en vue d'accroître les possibilités pragmatiques ou civiles et donc la liberté- il est possible de penser ou de concevoir tout ce qui vient à l’esprit car le domaine du pensable, le domaine de la pratique de la pensée est dissocié du champs d’application de l’éthique. Chacun possède le droit inaliénable de penser des choses qui ne sont pas éthiquement correctes. Allons plus loin : le domaine de la pensée ne saurait se soustraire à celui de l’éthique. Ainsi l’imaginaire ne saurait-il être sanctionné quand il peut pourtant chez l’enfant être guidé par « une bonne éducation ».

Devoir de dire, de dénoncer l’injuste. Pouvoir de penser l’indicible et l’injuste. La contradiction devient une dis-proportion matérialisant l’écart entre le juste et l’injuste. Cette dis-proportion est et restera essentiellement humaine à l’image de la déformation du son perçu chez le petit enfant qui apprend à parler : l'écart marqué par la différence entre la perception et l'émission se réduit à mesure que l'enfant progresse sur le chemin de son humanité et de ses capacités fondatrices. Il importe néanmoins de souligner l’existence de cette « déformation » car le monde perçu est exprimé comme ce qu'il n’est pas. La psycholinguistique, c’est-à-dire la science qui s’interroge sur la configuration du modèle linguistique, dispose d’un appareil conceptuel et technique permettant de mettre un nom sur cette différence entre monde perçu et monde exprimé qu’elle nomme « filtre ».

Derrière le filtre de la perception se profilent des silhouettes qui, telles des ombres, n’arborent pas la conformité à leur double. Mouvantes, elles résident, fermées, dans un intérieur : celui de la pensée et du psychisme. Cet espace intérieur est l’atelier de la démesure. En s'étirant, voulant régir la décision et l'acte, la disproportion prive le monde extérieur de son sens ou des valeurs universellement reconnues. C'est à ce moment que la contra-diction inter-vient. Fruit de la démesure elle crée un décalage qui rend caduque toute correspondance ou adéquation entre la pensée et le monde. La contradiction est discordante par essence. Peut-être n’est-il pas anodin non plus que la discordance soit particulièrement explorée et utilisée par la musique du XXème siècle quand, depuis la nuit des temps on cherche, avec Pythagore et Bach, la juste harmonie.

Paul Ricœur a très justement perçu l'importance de la notion d'écart : on en rencontre les motifs à maints endroits dans son œuvre, qu’il s’agisse de sa philosophie de la volonté ou de sa théorie de la métaphore présentée dans La métaphore vive.[1] Quand à la dis-jointure, nous la retrouvons chez Anaximandre. Né à Samos, parent de Thalès et de Pythagore il baigne dans la notion de proportion et les théorèmes de Thalès et de Pythagore sont tous deux relatifs à la proportion. Anaximandre, dans son schéma ontologique, qualifie le non passage, le demeurer de l'étant dans la présence d'injustice : a-dikê. Sur cette chaîne, les étants se rendent mutuellement justice et l'injustice consiste pour eux à vouloir demeurer immobiles et ne pas suivre le flux menant de la génération à la corruption, termes qui seront plus tard conceptualisés par Aristote. Ce témoignage confirme l'importance de la mesure et de la proportion dans la justice. La démesure qualifiant le séjour de l'étant est une injustice et cette injustice entraîne ce qui est tantôt traduit par "discord", tantôt par "discordance" ou "dis-jointure".

La barbarie devient perte de mesure et de proportion. L'acte barbare ne répond plus à ce que l'on attend de l'humain. Il est en rupture avec la juste mesure du monde et du sens. Pourtant la démesure et l'écart restent proprement humain si bien que l’on ne pourra affirmer que la barbarie soit étrangère à l'humain.

Se pose alors la question de la source d’une telle disproportion : celle qui engendrera l’acte en rupture. Autre question : celle de la nature de l'espace ouvrant sur le dis- de la proportion.

Affirmer d'un tel espace qu'il soit un espace de liberté, c’est donner au mot "liberté" un sens privatif désignant certes une absence de contrainte mais n'engendrant rien de valable au sens propre du terme. Un tel espace devient le dangereux synonyme de "totalité des possibles", l’espace de tous les pensables à la fois partagé par ceux qui soulèvent les montagnes pour lutter contre l’injustice -c’est le cas de Nelson Mandela- (orientation éthico-politique de l’action) ou par ceux, qui, assoiffés de pouvoir n’hésitent pas à asservir leur peuple (absence d’éthique) C’est le cas des tyrans.

C’est à partir de cet espace incontrôlable que le dictateur pense l’impensable et met en application des pensées à la fois humaines, puisqu’elles sont pensables d’un point de vue pragmatique, et inhumaines du fait qu’elles soient condamnables éthiquement.

Remonter à la source de la barbarie. Curieusement, il semble facile d'établir une histoire de la haine et l’accès à la haine semble toujours plus facile que celui menant à la bienveillance et au bien. C’est pourquoi l’éducation n’est pas chose facile : elle repose sur l’effort. L' antisémitisme est mis en scène depuis la nuit des temps. Un exemple : Le Marchand de Venise de Shakespeare. Un juif, usurier pour la nécessité du cliché, nommé Shylock est érigé en bourreau et réclame de son futur gendre une livre de sa chair pour gagner le droit d’épouser sa fille. Sur fond de cette mise en scène, Shakespeare cueille celui qui se serait laissé assaillir par un sentiment haineux et éprouverait une jouissance de cette raillerie. Il rappelle que le Juif est d'abord un homme fait de la même chair que tout homme. Figure de la catharsis :

« I am a Jew. Hath not a Jew eyes ? Hath not a Jew hands, organs, dimensions, senses, affections, passions ? Fed with the same food, hurt with the same weapons, subject to the same diseases, healed by the same means, warmed and cooled by the same winter and summer as a Christian is ? If you prick us, do we not bleed ? If you tickle us, do we not laugh ? If you poison us, do we not die ? And if you wrong us, shall we not revenge ? » (III.1.53-60).

 

Penser l’impensable : impossible possibilité. Possible impossibilité. La barbarie se définit d’abord à l’aune de la contradiction : celle de l’acte innommable que pourtant nous formulons, que nous pouvons même dénoncer, condamner, réprouver, refuser. Innommable nommé ; innommable tant il est étranger à tout ce que la langue peut porter dans sa dignité. Formulé pourtant par souci ou devoir de dénonciation, de refus. Dire l’impossible. Condamner très haut.

L’innommable : possibilité pragmatique. Impossibilité éthique. Ce qui est innommable est nommable et innommable à la fois. Ambigu par nature l’innommable révèle deux types d’impossibilités :

1°/l’impossibilité éthique de la référence. Elle désigne la réaction à un objet que je ne peux toucher par révolte ou répulsion.

2°/ l’impossibilité éthique de la non-référence. Je me dois de dénoncer cet objet que je ne peux inscrire dans mon environnement vital.

L’impossible impossibilité de comprendre la barbarie s’inscrit dans l’impossibilité éthique de l’objet en tant qu’il existe et dans l’impossibilité éthique de la non-référence à l’objet que je ne peux prendre avec moi, que je ne peux « appréhender »…l’insoutenable.

C’est dans cette double impossibilité qu’émerge le devoir de parole ou ce que David Pettigrew nomme « the task of justice »,[2] faisant alors référence à la publication/dénonciation du crime, en l’occurrence, dans le contexte du génocide serbe, comme "tâche de la justice".

Dire la barbarie, c’est en partie détruire la barbarie, c’est-à-dire aussi détruire l’impossible là où la possibilité s’applique directement à la vie et où elle prend essentiellement valeur éthique. Emerge alors une nouvelle figure de discours qui n'est plus seulement discursive ou plus seulement éthique mais engage la parole dans les actes de la vie et du jugement : un tel acte de langage engendre la protection et la conservation de la vie, de l'existence, du ce-qui-doit-être en même temps que du ce-qui-peut-être.

Dans le prolongement du questionnement éthique se trouve la perspective ontologique qui requiert une réflexion sérieuse sur la manière de penser ou de poser le concept de barbarie et avec ce concept, toute sa matérialité. J’entends par matérialité du concept, le champ de ce qu’il évoque et qui nous touche au sens propre du terme. Doit-on approcher un tel concept à travers l’exemple ? A travers la censure ? Par l’explication ? Quelle tonalité employer ? Quelle expressivité donner ? Quelle gravité adopter ? Qu’en est-il de la définition de la barbarie ?

Les définitions données par les dictionnaires offrent souvent des listes de synonymes, des listes nominales, comme si une coïncidence entre la manière de présenter les définitions et la définition même de la barbarie nous indiquait qu’une grammaire de la barbarie est elle aussi impossible, comme si la barbarie détruisait l’articulation entre les choses, comme si à l’image de la lésion cérébrale qui peut engendrer l’agrammatisme (type d’aphasie), les phrases commençaient à définir pour s’arrêter en leur début, comme si elles étaient conformes à l’essence même de la barbarie et conduisaient finalement au silence. La barbarie ouvre en effet la porte d’un monde sans réponse, d’un non-monde, d’un monde qui ne mondanise plus, qui se dé-monde, qui s’im-monde, pour reprendre le vocabulaire que Jean-Luc Nancy utilise dans La création du monde ou la mondialisation.[3]

Les enfants, les adultes qui ont éprouvé de grandes souffrances éprouvent aussi de grandes difficultés à parler. L’enfant de la souffrance a les grands ouverts et la bouche grande fermée comme si la parole s’éteignait dans la nuit de l’effroi. Ce silence là n’est pas le même silence que celui dont parle Mozart dans ses carnets quand il dit que « la musique est le silence qu’il y a entre les notes ». Dans cette conception, nous comprenons que la musique n’est pas tant le son à proprement parler, que la vibration qu’il engendre dans la singularité de sa concaténation. Le silence pathologique, le silence du traumatisme et de la souffrance n’est pas non plus à l’imagine du vide-plein que l’on trouve dans la pensée taoïste. C’est un vide vide. Un vide se creusant comme de lui-même. Un vide déstructurant jusqu’à l’essence même de l’être, un vide qui s’attaque à la grammaire sociale et remet en question les correspondances fondamentales qu'il décale, disloque, dis-proportionne ou dis-tord. Ainsi en va-t-il de l’engendrement mutuel du singulier et du pluriel au sens où l’entend Jean-Luc Nancy quand il conjugue le singulier et le pluriel communautaires en montrant l’interdépendance de l’un vis-à-vis de l’autre.

            Sous l’emprise de la barbarie et au-delà de la question de l’Être, c’est la communauté elle-même qui est démontée, détruite et avec elle sa concaténation grammaticale, sa linéarité et toutes ses correspondances. La barbarie dis-joint la communauté et absorbe les flux tel celui de la parole rompu par l'aphasie sociale, psychologique et politique. La parole devient l'absente, isolée, bloquée, immobilisée, enfermée dans la violence, l'injustice et la souffrance.

            A fortiori, que la barbarie s’en prenne à l’expression, renforce la nature du devoir éthique de dire. On parlera alors d’une éthique rhétorique, d’une éthique du dire, du commentaire, de la publicité, de la formulation, de la redite, du questionnement, de la réponse, de la vie elle-même. Toutes ces modalités affirment l’humanité de la communauté. Aussi remettre de l’ordre, ré-organiser est-ce aussi re-créer le lien communautaire, recréer la possibilité du « je » à partir du « nous », la nature même de l’ « avec » tout en respectant la singularité de la pluralité des « je ».

La barbarie reste manque et absence. En cela elle est toujours injuste : elle est a-dikê. Dikê est, chez les penseurs présocratiques, le terme qui fait référence à la justice ou à l’équilibre : de cet équilibre qui engendre la santé et la justice et qui s’étage sur trois niveaux : celui du corps physique et spirituel, le terme de dikê est alors l’équivalent de notre terme « santé », celui du corps politique : la polis, le terme dikê fait alors référence à la justice, celui du corps cosmique faisant référence à l’équilibre des sphères et implicitement dans ce que l’on appellera plus tard la gravitation.

Par delà le manque, la barbarie fait figure d’excès, elle déstabilise l’équilibre et ouvre non pas sur la gravitation mais sur la gravité. A propos de l’excès, nous trouvons dans Le Gorgias(492c-493b), un passage où Socrate décrit l’insensé :

« Cette même partie de l’âme, un spirituel auteur de mythes, un Sicilien, je crois, ou un italien, jouant sur les mots, l’a appelé tonneau, à cause de sa docilité et de sa crédulité ; il a appelé de même les insensés non initiés et cette partie de leur âme où sont les passions, partie déréglée, incapable de rien garder, il l’a assimilée à un tonneau percé, à cause de sa nature insatiable. Au rebours de toi, Calliclès, cet homme nous montre que, parmi les habitants de l’Hadès –il désigne ainsi l’invisible- les plus malheureux sont ces non-initiés, et ils portent de l’eau dans des tonneaux percés avec un crible troué de même. Par ce crible il entend l’âme, à ce que me disait celui qui me rapportait ces choses, et il assimilait à un crible l’âme des insensés, parce qu’elle est percée de trous, et parce qu’infidèle et oublieuse, elle laisse tout écouler. »

 

            L’initiation désigne le travail de l’âme sur elle-même. Aujourd’hui nous lui donnerions le nom de contrôle de soi-même ou self-control. Elle s’acquiert à travers l’écriture, la lecture, l’enseignement qui ouvre sur la capacité de réflexion, mais aussi à travers le sport ou la musique. Toutes ces connaissances font de l’homme un initié capable de contrôler ses passions, ses ardeurs, ou ce que Freud nommera « ses pulsions ». Sans un travail de l’âme sur elle-même, l’homme n’est pas capable de retenir ce qui le domine. En termes kantiens nous dirions que l’homme doit savoir vaincre ou dominer sa part sensible ou cette part irrationnelle de lui-même. Nous pourrions aller jusqu’à parler de sa part animale mais la barbarie n’est pas nécessairement le fait de l’animalité animale. Elle serait bien plutôt le fait d’une animalité humaine, un pouvoir agir mis à disposition et sous l'emprise de pulsions irrationnelles, non réfléchies ou dépourvues du souci de l’humain, mis à disposition non pas de la capacité humaine mais de d’une incapacité humaine ouvrant sur la démesure et perdant toute vue de- et tout égard pour- la proportion. La barbarie est non seulement une a-dikê mais aussi une in-capacité.

            Le barbare devient l’in-capable, là où l’humain se définit par ses capacités. La capacité est à comprendre dans le cadre de la tenue ou la retenue, qu’elle porte sur le savoir ou sur la manière d’être. Le barbare ne sait pas retenir ses pulsions guerrières tout comme le criminel n’est pas capable de retenir ses pulsions meurtrières. On espère que la prison lui fournira une éducation et il y a sur ce thème, aujourd'hui, de quoi travailler.

            Ce en quoi consiste l’acte barbare, ses motivations, ses auteurs est un axe réflexion. Il ouvre sur la responsabilité. Le résultat de l’acte lui-même et l’ampleur des dégâts humains qu’il engendre en est un autre qui pose la question de la réparation et cette question ne résulte pas seulement de l’éthique communautaire. Contre-pied de la barbarie, la réparation se manifeste à travers un retour à la parole par l'acte de condamnation et de dénonciation. En cela elle est aussi ontologique : elle vise à rétablir ce qui existe parce que cela doit exister. Cela dit, elle ne le remplace pas. Mais elle se borne à signaler et à maintenir la trace de ce qui a existé afin d’en prévenir la répétition. Ainsi comprendre, est-ce aussi prendre la mesure de l’incommensurable, de ce qui au mieux n'existe plus (quand le "plus" (qui signifie "rien", en français), marque la mémoire (je pense par exemple au World Trade Center qui n'est plus), au pire de ce qui n'existe pas (pour ceux qui ne l'ont jamais vu) et comprendre, c'est encore savoir reconstruire ce qui a existé, le restaurer d'une manière ou d'une autre.

Où que l’on tourne son regard pour essayer de comprendre, on constate la contra-diction. La barbarie est contra-dictoire par essence, nous l'avons montré. Elle s'oppose au dire, elle désintègre jusqu'à l'essence même du langage. Elle est à contre-temps parce qu'elle échappe à ce à quoi l'on peut s'attendre. Elle arrive quand tous les regards et toutes les attentions sont dirigés vers autre chose. Comprendre…choisir d’adopter une position par rapport au désastre, se rapprocher des victimes, soulager un peu si tant est que cela soit seulement possible, leur infinie souffrance quand elles ont la fortune de survivre à l’outrance ou au paroxysme.

            Une question se pose : la réparation peut-elle dépasser le champ de l'éthique ou ici l'éthique dépasse-t-elle le champ de l'ontologique ? Ces questions reviennent à se demander si l'éthique peut faire être : elle s'apparente alors à l'ontologie. Quel partage entre l'éthique et l'ontologie ?

Comprendre la barbarie est une question qui se pose tout également dans les termes humanitaires de sa réception et qui se tourne vers la victime. Peut-on comprendre le malheur résultant de la barbarie ? peut-on en comprendre la souffrance ? peut-on comprendre l’horreur qui a été vécue par les victimes ? Quelle attitude adopter face à la barbarie, à la béance qu’elle crée devant elle ? Dans ce face à face la barbarie possède-t-elle encore un visage, une voix ? Je pense bien sûr ici au thème du visage chez Emmanuel Lévinas, là où l'absence de visage manifeste justement l’inhumain. Si le meurtre est une barbarie, l'anonymat dans des sociétés individualistes est aussi une forme de barbarie.

Quel visage, donc, pour la barbarie ? Sans nul doute, un visage meurtri, un visage qui, quand il a survécu porte peut-être encore quelque trace de la clarté de la lumière qui l’inonda un jour, de joie. Quel message adresser à ce visage ? Quelle écoute offrir à la voix qu’il délivre ? Comment aider et participer à la sauvegarde de l’humain après que le pire ait été commis ? Comment rapatrier cette lumière ? Comment rendre hommage aux victimes sans rappeler aux survivants, chaque fois toujours un souvenir qu’ils ne réussiront pas à oublier ? La question de la position à adopter face au visage de la souffrance, celle de l’écoute qu’encore on peut peut-être offrir à cette voix, semble être si délicate qu’elle pourrait ne concerner que les professionnels de la santé. Quel soulagement ! Ne nous dédouanons pas : la responsabilité communautaire nous rappelle qu’être-avec-les-autres (ou être-dans-le-monde, pour reprendre l'expression de Heidegger), c’est aussi et toujours être tendu vers la compréhension d’autrui et non être tourné vers soi-même ou contre autrui. Barbarie encore. Car l’indifférence participe à la déliquescence de l’ « avec » communautaire. Comprendre, cela devient "admettre" la présence de la barbarie dans notre environnement pour œuvrer toujours encore à l’atténuation de la souffrance d’autrui. Cette tâche n’est pas réservée aux professionnels de la santé, elle s’impose dans notre quotidienneté et le lien communautaire doit aussi comporter le constant devoir d’une tension vers autrui. Sans ce souci de l’altérité, il ne saurait y avoir de communauté. Sans éthique, pas d'ontologie.

            C’est aussi le souci pour l’altérité qui fait surgir l’effroi, réaction qui s’accompagne d’un dispositif langagier spécifique. « C’est affreux !», « Quelle horreur ! », « c’est abominable », « mon Dieu ! », on parle encore de l’  « innommable », ou de l’ « immonde », expression employée –rappelons-le- par Jean-Luc Nancy dans La création du monde ou la mondialisation. Autre visage de la contradiction.

            « L’immonde » selon Nancy est l’absence de monde, de mondain, d’humain. C’est précisément cette absence qui fait surgir la question d’une compréhension possible de la barbarie. Si l’horreur appartient à un autre mode que celui de l’humain alors comment est-il possible de l’aborder à partir de l’humain que nous ne quittons pas lorsque nous parlons, lorsque nous décrivons, lorsque nous analysons etc. Faut-il voir, dans ce que révèle cette absence, un seuil entre le mondain –au sens propre du terme- et ce qui n’est plus monde ?

            Par la réaction d’effroi et le dispositif langagier qu’elle met en œuvre, nous posons notre distance par rapport à ce qui a été commis. Nous faisons acte de négativité, pour reprendre un terme cher à Eric Weil. Nous nous inscrivons dans une étrangeté radicale par rapport à l’acte commis. Cette étrangeté ou cette négativité qui fait figure de condamnation permet le consensus humain. Devrions-nous trouver de « bonnes raisons » justifiant de tels actes, nous entrerions nous-mêmes dans la sphère très fermée de la barbarie. C’est dans cette distance rhétorique mais aussi et surtout éthique (les deux sont étroitement liées quand on comprend que la parole permet de dire le monde voire de faire le monde) que se situe le seuil qui fait passer de l’humain à l’in-humain (et non l'inverse) ou à l’immonde et c’est par cette distance qu’il devient possible, contre toute attente, de définir la barbarie à partir du non-barbare. Pourquoi ? Par cette distance nous posons une rupture avec le barbare pour nous rapprocher de la victime. Ainsi, en dénonçant le génocide, soutenons-nous la communauté dont les victimes faisaient partie.

Autre distance, celle, temporelle, de la condamnation par l’histoire engendre le respect de la mémoire. La commémoration est une figure de l’histoire et elle permet, d’une certaine façon de prolonger la vie de la victime. En commémorant, nous rendons vie, nous faisons acte de tenue, de retenue dans le temps, dans la mémoire là où la barbarie et l’insoutenable sont par essence incapables de tenue et de mesure. Il en résulte que l’humain se situe d’abord dans la tenue, ce qui ne signifie pas dans la rigidité.

            Ouvrons une parenthèse à propos de la tenue : on pourrait se demander comment articuler l’outrageux excès de discipline dont faisaient preuve les soldats nazis ou dont fait preuve tout soldat servant un régime dictatorial et la notion de discipline rationnelle ou de « tenue ». Pour résoudre cette difficulté j’en appelle à Heidegger.

Dans un ouvrage intitulé modestement Beiträge zur Philosophie et que l’on traduira par « Contribution à la philosophie » mais qui n’est pas traduit en français, Heidegger fait la différence entre ce que les traducteurs de ses œuvres ont nommé « la pensée qui calcule » (Machenschaft) et « la pensée qui médite » (Andenken). La dite « pensée qui calcule » désigne l’opérativité de masse à l’œuvre dans les sociétés considérées comme développées, mais elle désigne tout également la pensée stratégique à mauvais escient. A l’opposé se trouve la « pensée qui médite » désignant la capacité humaine de s’arrêter sur un objet pour en considérer toute la profondeur. La phénoménologie s’inspire de cette profondeur et son but est d’aller jusqu’à la chose même, c’est-à-dire découvrir l’essence de la chose. Elle est fondamentalement bénéfique et relève d’une humanité que nous qualifierons de « normale », par opposition à l’humanité a-normale dont nous traitons dans cette analyse. La pensée qui calcule implique l’imposition de modèles mathématiques dans la société. Elle désigne alors sa logistique. Elle peut devenir inhumaine quand la gestion finit par confondre les personnes et les individus, dénommés par leur détermination numérale et non par leur singularité initiale. Le règne de l’anonymat et l’isolement s’installent. La pensée qui calcule désigne encore la production de masse et la nature toujours moins humaine de la production et de ses modes. Le soldat nazi, dans l’extrême rigidité de sa tenue est l’incarnation même de ce mode de produire et, de fait, de la déshumanisation. Quant à l’effet de la production de masse sur l’homme, il tient de l’asservissement et de l’étrangeté (Emfremdung). L’homme ne se reconnaît plus en l’objet qu’il produit puisqu’il n’intervient plus dans la totalité du processus menant à la production, d’une part et qu’il n’a qu’un contact très bref avec l’objet qu’il produit, trop bref pour qu’il puisse s’y attacher et s’y reconnaître. La tenue n’est plus possible. Elle se réduit à la discipline.

Comprise à l’aune d’une stratégie de déshumanisation, la barbarie est le résultat d’un traitement d’une masse populaire donnée. Le meurtre n’est plus ponctuel. Il n’est plus le fait d’actes isolés. Il est organisé pour être « appliqué » à ce qui devient de la « masse humaine ».

            La barbarie quand elle s’exprime sous la forme du génocide procède aussi d’une pensée numérale réduisant physiquement et concrètement l’humain à du nombre, ce qui nous amène à la nécessité reconnaître une autre forme de barbarie : celle qui réduit abstraitement l’humain à du nombre et qui peut être partout. La barbarie se définit alors comme toute forme de réduction humaine.

            Nous parlions de manque ou d’absence, nous avons dépassé cette caractérisation pour en venir au concept de réduction. La boucle se referme sur un exemple : celui des réducteurs de tête. Les « tantzas » étaient des objets rituels réalisés à partir de têtes humaines par les Jivaros. La réduction n’est plus ici seulement abstraite, elle ne porte plus seulement sur la « masse », elle porte ici sur une transformation issue d’une technique opérée sur le corps humain en sa chair. Des études sur les tortures dans les camps de concentrations ont montré que les soldats nazis réalisaient aussi des tantzas. La barbarie dans ce cas, n’échappe pas à la réduction physique et concrète. Elle devient même volonté de réduire le corps de l’autre, le corps de la différence, d’une différence arbitrairement désignée. Absence. Réduction. Fermeture. Dans sa description de la pensée qui calcule, Heidegger souligne encore l’équivalence systématique entre ce qui a de la valeur et ce qui est pur produit. Et dressant un tableau de la guerre, réductrice elle-aussi par essence, décrit, dans Acheminements vers la parole, les quatuors de Beethoven qui jonchent les caves à côté des sacs de pommes-de-terre. La valeur est absente ou occultée. Ce qui contribue à distinguer l’humanité dans toute sa grâce, je veux parler de l’œuvre d’art, est dénié. Ce qui caractérise l’ouverture d’âme, l’intelligence, la sensibilité surtout, devient étranger.

            Dans sa dynamique de fermeture, la barbarie dévalue l’humain et avec lui sa singularité, son identité, son visage. Il en est ainsi, selon Jean-Luc Nancy, des régimes totalitaires en prolifération :

« Que nous veut cette prolifération, qui n’a d’autre sens visible que la multiplication indéfinie des sens centripètes, des sens fermés sur eux-mêmes et sursaturés de signification- des sens qui n’ont plus de sens dès lors, du moins, qu’ils ne renvoient plus à rien d’autre qu’à leur propre clôture, à leur horizon d’appropriation, et ne propagent au dehors que la destruction, la haine et le déni d’existence ? »[4]

 

            Nous abordons ici un nouvel aspect de la barbarie : celui de l’extension ou de la contamination. La volonté de priver l’humain de sa valeur contamine. Le champ du sens quant à lui se réduit, se simplifie, s'affaiblit. Une seule idée. Un seul refrain. Toujours le même. Ainsi en va-t-il de la manipulation qui fonctionne sur la base de la répétition. Le système se referme sur lui-même et efface l’altérité de son champ de vision. Nous ne sommes plus dans le domaine de l’ouvert et du loquace, de l’expansif, nous sommes dans le dense et l’obscur, de la réduction et de la fermeture.

 

            Comprendre. Ouvrir. L’acte herméneutique apparaît comme un remède, au même titre que la commémoration succédant comme par nécessité à la réconciliation. Mais comprendre est-ce pardonner ? Nelson Mandela a toujours prôné le pardon et l’amour d’autrui. En effet le pardon prévient la volonté de vengeance. Et pourtant, on trouve des traces du pire dans la constitution sud-africaine qui requiert que le citoyen, par exemple, ne soit pas soumis à des expériences biologiques. Autre exemple de « pardon » : celui qu’a prôné le Président Bouteflika dans le but d’une trêve avec le terrorisme. Celui-ci n’a pas permis à l’Algérie de régler son contentieux avec le terrorisme et les radicalismes. Je terminerai mon propos par une ouverture : je me demande si comprendre la barbarie -nous avons montré que cela constitue un devoir éthique- doit signifier « prendre position par rapport au pardon ». Et je ne doute plus que la valeur du pardon ne se limite pas seulement à l'éthique, qu'elle dépasse l'éthique pour prendre valeur ontologique, ne serait-ce que parce que le pardon restaure. Mais faut-il comprendre pour pardonner ?

 

 



[1] Ricœur, Paul, La métaphore vive, Paris, Seuil, 1975.

[2] Pettigrew, David, conférence donnée à l’Université de Lille 3 en mars 2006.

[3] Nancy, Jean-Luc, La Création du monde ou la mondialisation, Paris, Galilée, 2002.

[4] Nancy, Jean-Luc, Etre singulier pluriel, Paris, Galilée, 1996, p.12.

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9 octobre 2009 5 09 /10 /octobre /2009 12:51

Il me revient à présent de réfléchir encore sur ces journées de congrès : trois journées de traduction simultanée sans appareil de retranscription, donc dans la proximité, trois journées d'accompagnement, trois journées de débats, de questionnements, de rencontres, trois journées chaleureuses.

Naturellement, ces journées ont pris sens pour moi à partir de la personnalité d'Ed. et à partir de la présence à ses côtés de sa famille. La question qu'il m'incombe à présent de me poser est celle de ce que j'ai personnellement perçu du congrès et de l'activité de l'Association Buchenwald-Dora.

                                                              Un policier français, Edward et son gendre
Premier constat : celui de rencontres nombreuses et chaleureuses. Toutes les personnes présentent étaient impliquées personnellement dans l'histoire de la déportation : soit qu'elles avaient un membre de leur famille qui avait été déporté, soit qu'elles-mêmes avaient connu l'univers concentrationnaire.

De façon générale et pour revenir sur le sentiment de joie qui était là présent, je dois dire que je n'ai pas perçu d'obscurité, de tristesse, de lamentation. Tout cela était absent alors que pourtant je m'étais attendu à un certain sérieux, une certaine gravité. Je n'avais pas osé emmené des vêtements trop colorés et j'avais opté pour le noir et blanc ou le violet foncé classiques discrets, enfin je l'espère.

Tout ceci m'a permis d'observer un phénomène de groupe qui concerne la tonalité partagée et qui indique elle-même que le sens n'a aucune ambiguïté : il se vit, en commun, de façon unanime. Aussi importe-t-il de consulter ceux et celles qui sont d'abord concernés par l'écriture de l'histoire. On a évoqué, dans le congrès la notion de "mémoire partagée", qui, si j'ai bien compris implique un partage, de part et d'autre de la frontière et des affrontements, d'une même histoire, des mêmes souffrances, la reconnaissance des peuples unanimement victimes de la barbarie. Cela dit un tortionnaire nazi ni même un collabo français ne saurait partager le rôle de victime avec celui ou de celle qu'il a fait souffrir ou mené à la torture : le partage s'arrête là où commence la responsabilité. Un barbare reste un barbare. Les allemands font sans doute moins de concessions que nous et je pense au traitement réservé à Heidegger (1889-1976) à Fribourg.

Et ceci, naturellement me ramène invariablement à mon sujet de thèse (soutenue en 2007). Heidegger avait d'abord accueilli avec ferveur le nazisme, en 1933. Il fallait travailler sur les valeurs, retrouver l'authenticité de l'origine pour permettre un dépassement de la crise des valeurs, et pour lui, le programme politique a d'abord paru s'assimiler à un programme métaphysique. Mais en 1934, il démissionne de ses fonctions quand le ministère nazi lui impose de fermer la porte de l'université de Fribourg dont il est le recteur, aux juifs. Les Fribourgeois ne lui ont pas pardonné son engagement initial et le font figurer, dans un petit musée sur l'Université, parmi les figures éminentes du nazisme avec un "bel" insigne nazi. La presse à scandales française, quant à elle, se fait, naturellement beaucoup d'argent grâce à cette Erreur de jugement quand bien même Heidegger affichait sa désapprobation vis à vis du biologisme nazi, ainsi que de sa machinerie qu'il comprenait dans le terme évocateur de "Technique", cette façon de réduire l'être humain à de la logistique. Et le pire, disait-il, c'est que "ça fonctionne".

C'est la France qui assura la réception philosophique de Heidegger et le courant existentialiste est né de sa philosophie. En témoigne le livre de Dominique Janicaud, Heidegger en France. En ce sens Derrida est un philosophe heideggerien.

La notion de dignité mérite d'être questionnée car elle résulte souvent de la volonté de l'humain d'afficher une joie telle que l'on ne va pas chercher l'inquiétude au cœur de sa souffrance. La dignité est un mode d'être, une qualité et la noblesse de l'âme veut que l'on ne dise pas ce qui est éprouvé. Pourquoi en va-t-il ainsi ? Qu'est-ce qui est ainsi refusé par la dignité ? La communauté de souffrance ? L'invitation à l'émoi ? La culture de la tristesse ? Quelque chose, est de toute façon refusé, barré. Il y a négation d'ouverture sur un monde qui pourrait assombrir. Le séjour est aménagée dans joie, dans la lumière. L'existence reste sourire.

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6 octobre 2009 2 06 /10 /octobre /2009 10:46

(sur la photo : les anciens déportés présents au congrès)         La barbarie, ennemie du sens

Le rôle essentiel que je suis invitée à tenir est celui de la traduction pour rien moins que l'un des anciens déportés encore, par bonheur, de ce monde : Ed. Carter-Edwards. Edward est canadien et à l'âge de vingt ans, il décide de s'engager dans les forces alliées, en juin 44, pour apporter tout son concours, offrir son aide, au prix de sa vie, pour la libération de l'humanité contre la barbarie nazie. Son avion est touché par un chasseur allemand et il parvient à sauter en parachute pour atterrir dans une forêt proche de Paris. Il ne faudra pas longtemps pour que Edward soit recueilli par la Gestapo, emmené à la prison de Frênes, traité comme un saboteur et emmené à Buchenwald. Oui, il n'a que vingt ans. Dans le camp on le surnommera du nom de "lustig" qui en allemand signifie "joyeux luron". Essentiellement enfui au plus profond de sa personnalité, un sens de l'humour lui vaudra certainement d'avoir su constamment se tenir en spectateur de son existence pour y trouver l'introuvable, la drôlerie au cœur de l'invivable, d'avoir pu survivre psychologiquement aux pires des événements.

C'est justement cette capacité à la distanciation non pas uniquement discursive mais plus généralement esthétique que l'on cherche à susciter chez les personnes qui souffrent d'un mal moral ou psychique et je citerai en la matière le travail accompli par Anne-Marie Dubois à l'hôpital Saint Anne de Paris. L'art devient alors le témoin, le récit, la possibilité de sortir du joug de l'événement et de le faire objet en se tenant là, comme sujet créateur.

C'est d'abord cette capacité qui m'a frappée chez Monsieur Carter. Son rire, son sourire et un inépuisable sens de l'humour.

Il me revient de "traduire" et ce terme prend un sens métaphysique. Il ne s'agit pas de transformer un discours, des propos prononcés dans une langue de départ vers un discours qui fait sens dans une langue d'arrivée mais de veiller à ce que l'expressivité, la profondeur, la chaleur qui s'exprimeront tout au long des ces trois inoubliables journées accompagnent constamment la systématique de traduction. Traduire l'humain : lutter constamment contre le dépouillement du sens dans ce qui pourrait avoir tout d'un exercice, rester à proximité sans peser, dans la légèreté sans oublier la gravité, dans la disponibilité sans épuiser.

Ma gratitude est grande à l'égard de l'Association française Buchenwald-Dora de m'avoir ainsi invitée à son congrès, de la confiance et de la gentillesse avec lesquelles j'ai été accueillie et le mot est faible. J'ai compris le sens du serment et il me revient maintenant la responsabilité de prendre part à cette lutte contre la barbarie et pour qu'elle ne recommence pas, en participant à la diffusion de ce qui s'est produit là, dans cet autre monde, celui de nos parents, de nos grands parents, lors de cette seconde guerre mondiale.

La haine n'a pas disparu : elle continue de frapper et nous devons rester vigilants. Monsieur et Madame Marchant l'on bien compris et c'est au quotidien qu'il faut montrer l'exemple de l'amour que l'on porte à son prochain, maintenir coûte que coûte le droit à la charité et à la solidarité.

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1 octobre 2009 4 01 /10 /octobre /2009 15:17
Voilà. Je me suis donc rendue chez M. et Mme Marchant et là, j'ai découvert le sens du travail de mémoire pour des gens qui le pratique sans se charger de la théorie. Tout d'abord, j'ai remarqué combien ils tenaient à me communiquer des informations sur les camps de concentration et combien ces informations, travail de l'histoire, étaient précises. Leur seul outil herméneutique : le ressenti. "Là on leur faisait ça et ça : vous vous rendez compte !". Et pour eux, pour qu'on ne les oublie pas, il faut raconter leur histoire, non pas de façon générale, mais dans le détail. Oui, ce terme est important car c'est le détail qui, dans la cruauté fait toute la différence. L'organisation concentrationnaire s'est justement penchée sur le détail de la barbarie. Plus ce détail est pensé, organisé, plus la barbarie est franche et violente, pire elle est. Il faut donc des livres, encore des livres, des histoires, des récits. Les histoires des uns, et encore des uns pour n'être jamais celles des autres. Les uns dans leur singularité d'être humain : la puissance de l'humanité. M et Mme Marchant ont bien compris cela. Me voilà informée, à présent j'ai un rendez-vous important où je vais jouer un rôle essentiel.
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25 septembre 2009 5 25 /09 /septembre /2009 12:12

 

Rencontre avec Monsieur Marchand.

Vendredi 25 septembre 2009 : j'ai rendez-vous avec Monsieur Marchand cet après-midi pour parler de la traduction d'un livre sur les camps de concentration. L'aventure commence. Je viens d'être nommée Maître de Conférences à l'Université Catholique de Lille et désormais je vais pouvoir me réaliser pleinement dans mon travail de recherches. Je n'ai pas si tôt signé le contrat qu'une grande aventure commence. Elle trouve sa source dans deux articles que j'avais composés pour le séminaire de Nora Dei Cas, il y a deux ans, à propos de la barbarie et un autre article rédigé pour mon centre de recherches en phénoménologie et herméneutique à l'Université Catholique de Paris. Ma question était alors de savoir s'il était envisageable d'admettre en herméneutique un sens du mot comprendre qui soit partagé avec le domaine éthique. La proximité de la problématique heideggerienne de l'être et de l'abîme que côtoie l'homme souffrant m'apparaît de plus en plus confirmer cette perspective d'approche.

La philosophie n'est pas seulement pour moi une discipline théorique. Elle comporte un ancrage dans la vie elle-même et je suis convaincue de la nécessité de toujours prendre la mesure de la pensée avec le monde réel, cette pensée soit-elle abstraite. Cet ancrage, je l'ai souvent trouvé dans la traduction et dans toutes les questions qu'elle suscite.

Cette fois, la traduction de l'ouvrage sur les camps de concentration m'amène à rencontrer des membres de l'association des anciens déportés de Mauthausen. Ce sont des gens d'origine ouvrière, qui n'ont pas nécessairement eu accès à une éducation bien longue mais qui sont passionnés et convaincus qu'avec le travail de mémoire qu'ils réalisent, ils contribuent à une certaine justice. C'est en tout cas, pour le moment et avant de les rencontrer, la manière dont je décrirais leur démarche. Monsieur Marchand m'a dit qu'il n'aimait pas lire mais sa femme lit pour lui et c'est un véritable savant sur la question des camps, leur origine, leur transformation. Rendez-vous après ma visite chez les Marchand.
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27 novembre 2007 2 27 /11 /novembre /2007 22:00

Depuis le CPE l'université s'est vue "en proie" à une nouvelle forme d'expression : "le blocage". Je pense que l'on ne réfléchit pas suffisamment sur le sens de cette forme d'expression ou plutôt de réaction quand pourtant elle est loin d'être annodine. Il s'agit d'une réaction émotionnelle consécutive à un traumatisme. Quelque chose a été vécu comme un choc, en l'occurence une décision, la manière dont elle a été prise ou formulée ou la manière dont elle a été reçue. Nous avons le devoir de réfléchir sur le blocage avant qu'il ne devienne un pathologie sociale avérée et grave et il apparaît que seule l'écoute permettra de dévérouiller cette forme d'autisme ou de repli, cette forme de résistance si violente.

Les étudiants, les lycéens se sentent menacés car ce qui les constitue a été modifié par une loi qui vient changer une tradition académique française ancestrale. Cette loi fait intervenir l'entreprise dans l'université et là où le savoir faisait figure de désintéressement, il prend un sens nouveau : celui de l'utilité. J'ai parlé dans une conférence que je faisais à Baltimore, de l'utilité de la philosophie heideggerienne en m'appuyant sur le sens que Descartes donne au savoir, et en conformité avec la position kantienne selon laquelle l'action par intérêt n'est pas une action morale. Le sens de l'utilité était dans cette conférence, synonyme de possibilité d'application. L'utilité d'un savoir est d'en permettre la compréhension. Or il semble que c'est la signification de ce terme et sa portée qui dans la réforme proposée aujourd'hui pose difficulté.

Le problème d'un lien ténu entre l'université et l'entreprise a d'abord été ressenti comme un manquement, comme une désolidarisation dans la quête pour le savoir et dans la forme qu'elle prend : celle d'un humanisme  et chaque étudiant porte en lui la fierté de cet humanisme. Une université permettant à tous, pourvu que chacun en ait les moyens intellectuels, de se hisser à la hauteur de ses possibilités et de ses rêves, répondait à l'idéal français. L'étudiant a, au sens fort, incarné cet idéal. L'université a pris corps en lui, de même que nos institutions peuvent prendre corps en nous. C'est souvent à ce carrefour que morale et politique se rejoignent. J'insiste sur la gravité d'un corps qui se ferme car je crains la rupture et la souffrance. Mais par delà rupture et souffrance, si graves soient-elles, c'est la violence qui menace là où la paix et la sérénité sont éminemment requises quand on doit se rendre disponible pour l'acquisition du savoir et la sculpture des capacités.

N'oublions pas non plus que la beauté et la grâce d'un esprit ne sauraient être le produit de la spéculation. Elles ont avant tout besoin d'amplitude et de liberté.

J'aimerais que la culture et l'éducation puissent rester désintéressées et que l'Etat puisse s'appuyer sur l'immense richesse produite par les capitaux ou les opérations boursières, pour remplir ce rôle fondamental qui lui incombe et qui, jusqu'à maintenant était l'apanage de l'exception française.

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30 juillet 2007 1 30 /07 /juillet /2007 22:16
Cummings rhymes with Playing...
Linguistics and Literature, a syntactic inquiry. 
 
Article publié dans SPRING, THE JOURNAL OF E.E.CUMMINGS en 2003.
 
anyone lived in a pretty how town
(with up so floating many bells down)
spring summer autumn winter
he sang his didn't he danced his did.
 
 
 
What about wondering what a "pretty how town" means? If a speaker ever asked you what you understand when hearing this cluster of words, how aghast, appalled, not to say upset would you be! How indeed would you react? What about speaking of all those operations of thought you would do then?
Now, the same question arises when quoting "with up so floating many bells down".
Let's play together and consider the way we could interchange words so as to end up with a syntactically correct proposition...
We could of course replace "floating" by fleeting... some bells may be fleeting or even falling, or, otherwise, fugacious. We can apply all sorts of property to those enchanting bells! We can replace them by books or balls or blooms, no problem! We are allowed to play for our greatest pleasure.
Right, but then what does it mean? These are groups of words and we are perfectly entitled to expect them to mean something. We even, incessantly look for a meaning, whatever it may be.
So shall we say that this bit of a sentence is meaningless? At least there is a possible commentary: as Jean-Jacques Rousseau (a French philosopher of the 18th century) used to say for music, we may say that this bit is nice to hear. So at least if this sentence contains anything rational, this is prosody, melody. We can have a musical judgement concerning this sentence and say it is musically meaningful. Why not?
The stress pattern is binary. This means that the quantity of stresses contained within the sentence that we will from now on call "verse" is a multiple of two. Now, this is music. Instead of speaking of multiple, one should speak in terms of division. The so-called binary rhythm is a rhythm in which the number of stresses may be divided by two. It is different from the ternary rhythm in which the number of stresses may be divided by three. There also exists other kinds of rhythm particularly in contemporary music in which rhythm may very well be built around the cipher 9 which is particularly the case for Boulez opera entitled "cummings ist der Dichter". This is about cummings' work from 1923 to 1954. Those characteristics appeared with what is called serial music, a music escaping traditional criterion.
So writing sentences without meaning or apparently without meaning is to approach, to subscribe to the same dynamics of creation as the contemporary musical composition, that is, to be classical in our register of references, to proceed to what Levi Strauss used to call "patchwork".
Now, we've got a clue for our questioning: the meaning of the sentence, of the cluster of words we were looking for a few minutes ago is a poetical meaning. We perfectly know, everybody knows that poetry possesses the special right of saying meaningless things! Poetry says things we should not say. Poetry is built from a non-norm. Poetry is an anti-norm. So, here we are. Now, if looking for a meaning in a meaningless proposition is perfectly meaningful, lets wonder about what happens in our mind when reading this kind of "things", let's look for this irreducible bit of meaning, please!
Some questions arise when wondering about those syntactic processes: if we consider the verses have just no meaning, then the irreducible part we are looking for should appear in the isolated elements we are going to consider. However when looking at a poem such as anyone lived in a pretty how town, we very soon realize that the poem as a whole seems somewhat meaningful and that some patterns are borrowed from the normal discourse.
The position I ended up taking towards this poem and that I would like to define first so as to have a clue in order to understand what all this matter is about is that the text is a multi-entry message and that it contains a superposition of semantic layers organized thanks to syntax. This text is like a score for a piano or an orchestra in which several melodies can be played at the same time.
Let's choose a few examples and get into an analysis:
The first I will call is anyone. Anyone is an indefinite pronoun. You can find it in a sentence like:
If anyone comes while I'm gone, tell him to wait for me in the office and to read through his paper.
 
or
Did anyone come yesterday ?
or
Anyone will do it
or otherwise:
I did not see anyone yesterday
 
In those sentences we can assert that the function of the indefinite pronoun is to refer to a shown entity in the direction of which we focus, we direct all our attention, our questioning without this entity being filled with a proper semantic content. This entity is a reference towards a person, or any person. This is why it is called an indefinite pronoun. It refers to a void the frame of which consists in formal clues such as human presence. We are invited to think in the direction of what Aristotle used to call gender. We are not in the field of specie, of a particular-identified. We are in the moment before the identification, we are in the moment founding the shape of a presence ready to welcome an identity. To the question did anyone come yesterday, we may answer no one came yesterday or John came yesterday
In this poetical context, anyone and no one are both masculine and feminine. They function as if they were names. In the general economy of the poem anyone and noone appear as characters. They are sort of given an identity. The indefinite pronouns are connected to a reference and this opens on a double reading which is founded on our recognition of the polarity of the couple of indefinites, of the information brought by the verb and the discursive frame that is marvellously woven for them all along the text. As such we may say that the link that binds both elements, both persons, both pronouns is a syntactic link. The functioning of the grammatical elements opens on a metaphorical dynamism so that we may even allow ourselves to speak, in this context of a syntactic feeling.
noone is then the answer to anyone since if we ask a question containing anyone, noone may appear in the answer, becoming, thus, someone, the other alternative, at the same time. The syntactic relation is what all this poem is originally designed with and more generally a feature of Cumming's writing identity. The syntactic relation is all that sustains the world of the poem which reminds us of Wittgenstein's proposition (6.124) in his Tractatus according to which "logical propositions (we may include syntax) describe the scaffolding of the world or they stand for it".
Now, the question becomes that of how indefinite pronouns get their identities for it sounds very well that we may speak of proper identities since we come to consider the indefinite pronouns as persons (John or Mary). They are filled with semantic features due to the syntactic context. However undefined they stand, they refer to something peculiar: a woman, a man. Predicates are linked to anyone and noone thanks to a copula that gives them their existential roles. The poem itself offers them their roles, their sheer syntactic status does not convey. This provokes a paradox because the same and its contrary are contained in the same element. We cannot recognize the Aristotelian principle of identity anymore. The meaning goes further, beyond Aristotle's lessons for:
 
A means as well nonA.
 
The undetermined is specifically meaningful, it has, it possesses an identity. The double entry meaning is at stake. This kind of making-sense you can find in Ancient Greece, much before Aristotle and E.E. Cummings was certainly familiar to this way of thinking since he made classical studies in Harvard and was particularly fond of Greek and the Greek Presocratic thinkers (we'll come back to this later). This kind of paradox (A is nonA) you find in Empedocles but also, in a different way, in Homer in whose Odysseus Ulysses tells the Cyclops his name is No one. When shouting his friends "No one is there", the Cyclop was taken for a fool because instead of grasping the word by its meaning, by the identity it referred to, the Cyclops took it by the little end of its indefiniteness.
This kind of "paradox" produces a game of come and go between the syntactic and the semantic fields. Anyone is at the same time the most determined and the less determined as well as noone, its (vs. his) counterpart. And yet from the point of view of syntax, anyone is still the most undetermined entity among any other part of speech. This is the essence of the free-choice morpheme.
So anyone is the most undetermined and, at the same time, from another point of view, namely the discursive point of view, the most determined, the Beloved one. "He" is the anonymous one being at the same time what we may call the being-in-proxi, the most well known being, the most well known by...noone. This is the expression of a love story between the poet and Marion Morehouse to whom this poem is addressed and who loves him more by more and for whom anyone's any becomes all to her.
The superposition of those antagonisms is made possible thanks to the cluster of semantic features contained in the pronoun, on the one hand, and the features set by the poem, by the story evoked by the poem, on the other hand. A gap is settled then and the movements from a side of things to the other creates the aesthetic emotion. That particular combination between syntax and semantics creates emotions just because we cannot believe anyone is no one nor noone is just anyone from the ordinary point of view. They become human beings, we care for their status, for their right of being!
Isn't it moving to notice that those semantic features that we may qualify as "built" are stronger, more "pregnant" than those belonging to the common code and use of language. How interesting wouldn't it be to understand how the hierarchy between both those scales of determinations work with one another. Why is it that the built features should mean in a more intense manner than the common features? How can we draw those characteristics? What kind of tool do we have at hand?
This means, as regards the principles of making-sense, that the intention of making sense is stronger than the meaning set by the norm which is a way of re-asserting the value of subjectivity over normativity.
Anyone and noone are then somebodys, they are persons, the pronouns have become first names and have even gained a gender. Anyone is masculine, noone is feminine. We gather the information allowing us to determine their identity through the anaphoric references of personal pronouns:
 
She laughed his joy, she cried his grief (4.2).
 
The "relocalisation" of semantic features, the syntactic re-configuration also shows but in another way in the use of the deverbals that are fully created in the text in verses such as:
 
he sang his didn't he danced his did.(4.1)
 
 Did is not an auxiliary, he is the subject of the sentence the verb of which is danced. did is in fact the direct object introduced by the possessive pronoun his. It is a deverbal.
Once more we wonder how this makes sense, why it is that it may make sense. Syntactic-semantic mutations are very subtle and they fit and belong to the same art of building than those of the couple anyone/noone. But what then is the link between an anyone and a did? Should there be any link at all? Well let me be more accurate for when we wonder about a link between anyone and did, we wonder about the nature of the creative process in both cases. Are we allowed to say that this creative process is the same in both cases or is there a different kind of principle governing the laws?
We've seen in the study of anyone and noone that the governing principle is that of indeterminacy; an indeterminacy enabling a gap with the determinacy of the genuine reference to the word, namely a precise, thought-of human being. The distance between those two concepts provokes a movement responsible for the poetic emotion. The link between anyone and his did is, as a matter of course, a logical link accompanied by this poetic emotion. A did is a kind of nothing, it is even worse than a nothing because in a nothing you've got an ontological support conveyed by the word "thing" even if it is preceded by the negative entity no. The thing is named in the nothing whereas if you say a did, then there is no kind of ontological substratum a noun is capable of. Did is the past for do and do may not even be a verb, it is also an auxiliary, that is to say that it may have no kind of autonomy. Let us not darken the picture. Let us grant a verbal value to did, let us be generous in our judgement. So did is the past form of do and then? Well, what are we going to do with do? How to do things with words? A do would be an action. anyone sang his did, that probably means that he sang what he did or may be that he sang, yes, he did. The combinations are numerous and the true meaning once more lies in an irreducible semantic quantity: someone whose name is anyone and who could be referred to as Anyone with a capital letter. This seems to refer to the poet himself, all the more as E.E. Cummings possibly had his name legalized in e.e. cummings (anyone without capital letter).
So anyone, sang, and the content of his song is a pragmatic content located in the past: anyone remembers the past in the past: he remembered the past and sang. As for his didn't, either he didn't dance or he danced what he didn't do.
A come and go between negation and assertion is settled as well as between masculine and feminine: a network of polarities is drawn figuring the swing of the pendulum. Time is then a binary system engendering binary relations.
From a psycholinguistic point of view this entails movements of consciousness and little by little and more by more the reader builds his new linguistic model (the way words are associated in his or her mind) that he/she keeps comparing to his/her "normal" one so that the comparison of both keeps, as well, producing sense. This is a reason why we may say that E.E. Cummings' poetry is a multi-entry message we may as well call a syntactic-semantic polyphony. To tell it in the ordinary words one may encounter and use when going to the market: many things happen at the same time!
Martin Heidegger would have spoken of co-originality (Gleichursprünglichkeit) where gleich means the same and der Sprung, the spring (synonymous with leap or skip) but also the spring that soars out of the earth. Der Sprung in Heidegger's thought is as well the movement thanks to which one may enter the field of Thought.
Shall I suggest this place, where all the meanings cross, seems to be precisely the fourth dimension of this poetry? I would refer then to the pictorial illustration called the fourth dimensional abstraction and would associate the poetic world to the great oval and the semantic, syntactic, pragmatic and all the layers that build a language, the lines and patches interwoven according to the hidden laws of artistic creation.
This being said, we are perfectly entitled to wonder about the extension of the new values granted to words: do we deal with a new language, set once for all in the complete work of the poet or is there a language proper to each poem as a close world? The answer seems to be the second one. Each poem has got its own referential system, its own semantic world. For instance, if we look at Doveglion, taken from The Adventure in Value (New York, 1962), we notice that the use of the indefinite pronoun is really different from the way it works in anyone:
 
DOVEGLION
 
he isn't looking at anything
he isn't looking for something
he isn't looking
he is seeing
 
what
 
not something outside himself
not anything inside himself
but himself
 
not as some anyone
not as any someone
 
only as a noone (who is everyone)
 
The whole play here is focussed on a contrast between those indefinite pronouns, a contrast between two verbs, namely looking and seeing, a contrast between the inside and the outside, that is to say between normative differences. The poet plays with what the norm offers and extends the limits. Each poem brings up a new game, is somewhat a new toy.
Let's look closer at how he deals with the very little word did in he dances his did in his poem anyone...we quoted earlier. We know that did is in fact an auxiliary word, we know as well that it may be the preterit form of the verb do. So what's the real result of did being used in its new form, that is to say under the feature of ...a noun?
 
he danced his did (4.1)
 
Because of its shape, because of the letters we can either see or hear, we think of the two grammatical entities we've just named. But because of the place it has within the syntactic pattern of the verse, we immediately recognize a noun. We know that after a possessive pronoun, there is a limited number of possibilities and we automatically adapt the possibilities we know to what we see or hear for the only sake of making sense.
Now, we come to a common point compared to anyone and it lies within the projection of a word with a certain nature towards a word with another nature. In both cases, the word is used in non-conformity to the nature it possesses within the ordinary normative language.
The relationship between anyone and did is a verbal relationship: anyone danced his did. Now what appears as being strange is that supposing did would also stand for some kind of verbal notion or quantity, then we should not expect any mark for the preterit within the sentence. However this mark is conveyed by the verb: danced. This allows us to say that this past mark is then conveying another meaning than the simple notion of agreement it may have within a sentence. There also remains, however, that did in some way, lost its nature of auxiliary verb or of verb. And we immediately go and seek for a nominal statute for this word. The poetical intention is stronger than the grammatical norm.
In this respect, if we pay attention to what Martin Heidegger's On the way to language asserts, we understand that the poetical language is a language liberated from the bounds of grammar. Thus we should be allowed to say that the poetical language delivers meaning from its meaningless bounds. This also means that the genuine meaning of words has to be propelled by a creative process.
So what is the result of our inquiry for did? did implies two levels of interpretation. The first one activates the recognition of the auxiliary it normally is and calls for a context we look for. The second level of reading is the poetical level. It grants it with the status of noun. This would be, in a normal situation, in the ordinary language of communication, a distortion or mistake but as it occurs within a creative surrounding we'd rather call it a creation, a grammatical creation.
Let's describe some of the operations of reading, of interpretation, of recognition it induces:
 
1. Reading/Hearing (perception) and stop to inquire on the non-normal form (astonishment)
2. Recognition of did as an auxiliary.
3. Re-reading or feed-back allowing to re-locate the meaning.
4. Acceptance of the form after checking process.
5. Interpretative level: did = something like a noun.
6. Second level of interpretation: the level of translation and search for an equivalent:
ex: he danced his did = he danced his waltz.
            and/or other kinds of interpretative processes: he did really dance, he danced what
               he did/had done.
 
Where we really have to play hard is when did meaning a positive act means a negative one (he sang his didn't). This is my favourite grammatical moment. Indeed, we have to add a few steps to our process of reading/hearing (perception):
 
1. Reading/Hearing (perception) and stop to inquire on the non-normal form (astonishment)
2. Recognition of didn't as an auxiliary form + negative operator.
3.a. Checking, feed-back.
3.b. Search for meaning.
4. Acceptance of the form after checking.
5. Interpretative level: didn't = something like a noun
6. Second level of interpretation or reading:
ex: he didn't sing     or    he sang what he didn't do or hadn't done...or he sang he didn't...
 
But this still remains a draft and I now choose to focus on level 5 of this process of reading. In this level, we recognize didn't as a noun. But didn't contains a negative value shown by the negation. A conflict occurs: at level 2, we recognized the auxiliary charged with a negative value and at level 5 we recognize didn't as a noun, that is to say potentially charged with a positive value related to its existential value. We come back here to our Ancient Greek thinkers before the principle of identity was settled.
So let's play with logics. P is related to a noun thanks to the copula. If one means negation, then one should use a sign for it: ~p. However here we have a noun, namely didn't and we can transcribe it by p but this noun appears in another level of reading recognizing it as an auxiliary or copula + negation. Our p becomes ~p. That's where a conflict occurs: it concerns the attribution to p of a positive value and of a negative value. If we forget the negative mark then we have a positive noun. If we take this negative mark into account, then we have a negative noun. The choice is ours.
Creation at this level is particularly rich and fruitful for we have a positive value and a negative value at the same time in this proposition. The positive value and the negative value co-exist at the same time.
How is it possible to explain this, to find any reason why E.E. Cummings plays with these forms ? I suggest a way: the poet studied in Harvard and was very keen on ancient Greek as was said earlier. He even went so far as to sign his name in Greek when writing to some of his friends such as Ezra Pound. The study of Greek also meant at that time, being able to write like Aeschylus or Sophocles. This being said, what kind of problems do we find in Ancient Greek texts and particularly in ancient Greek philosophy but the very question of the possible or not possible coexistence of being and not-being at the same time? This is the aporia and it can very well be the problem our poet has been inspired by to find a way to play with it and to let it room in his syntactic games and poetic thought.
Such a game is also present in the title of a book called Six nonlectures.
When we have he sang his didn't he danced he did, the game becomes even more fascinating for it also comes to temporal superposition. Indeed, there is a temporal superposition between sang and didn't or between danced and did. How is it possible to understand it? Everything seems to belong to the same moment. This is different and even more stimulating when we come to they sowed their isn't because it contains a preterit verb and a deverbal (noun coming from a verb). The comparison of both those forms implies an extra operation: we have to imagine the verb (sowed) belongs to a fore-moment of the temporal axis compared to isn't, which belongs to the present tense. The fourth dimension here is the cohabitation of present and past tense in a same representation. This adorns the text with an original relief.
I'd like to quote a last-but-not-least example following this very mode of combination, that one may find in A Poet's Advice to Students :
 
"Of course they can wrote Shakespeare, but so did everybody else"
In all these creations, syntax gives way to a whole game of interpretation. Here if we analyse what is being said, Shakespeare has already written, that's why Shakespeare exists as such. To say they can write Shakespeare, is to say that an hypothetical "they" could indeed write Shakespeare. But since Shakespeare has already written the Complete Shakespeare Works, they become authors of what has already been done which alters the notion of authorship in a kind irony!
 
This game between syntax and semantics proposes a dynamic movement of interpretation. It reveals a very special capacity of the author to empty the contents of grammatical elements keeping them aside like shadows, and to build new multi-levelled meanings or movement of meanings thanks from, we have to remind it, ordinary elements taken from anyone's ordinary language and life! So, we'll remember that the root of a well-designed dream is but this very ordinary material. Thank you Mister E.E. Cummings.
Cathy Leblanc.
 
 
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  • : Blog de Cathy Leblanc, professeur en philosophie à l'Institut catholique de Lille. Thèmes de recherche : la barbarie et la déshumanisation, la phénoménologie heideggerienne. Contact : cathy.leblanc2@wanadoo.fr Pas d'utilisation de la partie commentaires pour avis publicitaire svp.
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