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7 janvier 2012 6 07 /01 /janvier /2012 11:48

Quelques mots sur l’irréparable

                Nous avons beaucoup réfléchi sur le pardon et n’avons pas, loin de là épuisé ce thème, mais s’il est une idée qui est devenue incontournable, c’est bien celle de l’irréparable à la lumière de laquelle le pardon peut faire figure de violence.

                Je me demande aujourd’hui s’il ne faut pas creuser cette voie et si finalement elle n’est pas ce que le pardon fait apparaître. La difficulté de se situer par rapport au pardon a montré que les déportés ne pouvaient tout simplement pas « passer l’éponge » au risque de reconnaître à leur bourreau le droit de se « laver les mains ». Effacer n’est pas possible même si certains comme Sam Braun, lors des journées de Blois, ont soutenu l’importance du pardon dans la perspective d’un bien-être moral et psychique personnels. Nous sommes là dans une métaphysique de l’exception et le grand nombre des personnes déportées ne possède pas nécessairement les outils d’une telle métaphysique.

                Une approche universelle de la déportation, une approche qui prétendrait prescrire telle ou telle attitude n’est pas une approche convenable de même que des généralités qui viendraient prescrire telle ou telle attitude parce que d’un point de vue général, c’est mieux comme cela (« il faut pardonner » ; « ceci ou cela n’est pas bon »), ne peuvent en aucun cas résoudre les difficultés de réalités particulières. C’est en ceci qu’il convient de rappeler l’unicité à laquelle Levinas tient tant. Et le dialogue est ce qui chez lui, vient actualiser la liberté parce qu’il prend la mesure de ces réalités particulières. Nous évoquerons naturellement aussi la vie psychique et solitaire et libre parce que solitaire, qu’évoque encore Husserl.

                Quel est alors le statut de l’irréparable ? Quel est son rôle ? Pourquoi doit-on le considérer comme tel ? L’irréparable est au cœur même de la reconnaissance de la faute, c’est pourquoi toute violation des lois entraîne des sanctions, des peines sans que ces peines n’effacent pourtant le tort porté. Quand l’irréparable est subi, c’est aussi le point de vue de l’altérité qui constamment est suscité d’où le travail de mémoire et l’importance de la reconnaissance. Mais à quoi renvoie ce sentiment que quelque chose est irréparable ? Que dit-il sans le dire ? Il dit la difficulté de l’être-au-monde à vivre avec les autres, il dit son isolement profond dans la douleur qui ne cesse de vibrer en lui, il est un cri, celui d’une souffrance insupportable, celui de l’invasion du souvenir dans le présent, celui de l’impossibilité de la jouissance d’être vraiment.

                L’irréparable dit la fragilité de l’être. Alors peut-être cette notion n’est-elle pas tant une notion morale, une condamnation en tant que tel, que l’indice ontologique qui montre que le monde manque dans le monde vécu et que par ce manque je ne peux être celui ou celle que je suis vraiment. L’irréparable devient le fléchage de ce que cet homme ou cette femme pourrait être si une part de lui-même ou d’elle-même n’avait été meurtrie.

                Beaucoup de questions émanent de ce bilan. Celle de la liberté, celle de la réparation, celle, fondamentale de la jouissance (au sens de se sentir vivre pleinement le présent en se sentant être pleinement soi-même).

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30 décembre 2011 5 30 /12 /décembre /2011 17:09

                L’année 2011 se termine avec une actualité préoccupante, une pauvreté croissante et des systèmes qui semblent engloutir ce que les systèmes présents possèdent encore d’humain. Il faudrait réfléchir sur l’autoritarisme des systèmes quand la gradation d’une autorité efface cette précieuse singularité dont Jean-Luc Nancy fait l’éloge et qui nous rappelle que nous ne sommes toujours identiques qu’à nous-mêmes quand bien même un dictateur (noter que le terme est rare au féminin, sic !) nous plongerait dans un tel pathos que nous le pleurerions en nombre à sa mort. Mais de nous demander si ces larmes là sont encore les larmes de la liberté ou si c’est encore, selon l’expression employée par Caroline Carlson dans son magnifique ouvrage sur l’éloquence des larmes, l’âme qui a le bonheur de pouvoir pleurer. Ce niveau d’atteinte de la personnalité reste très préoccupant et mérite qu’on le questionne et qu’on revisite la liberté à l’aune de cette atteinte là.

                Nous avons eu le plaisir au mois de mars de réfléchir sur le pardon et il semble que ce thème ait suscité beaucoup de questions, et que nous n’ayons pas non plus répondu à toutes les questions, naturellement. Aussi l’Université Catholique de Lille, organise-t-elle une session de réflexion en janvier sur les limites du pardon avec en vue, une attention toute particulière accordée à la mémoire et à la reconnaissance de la souffrance quand la souffrance vécue ne saurait être effacée. Les anciens déportés pourront s’en réjouir quand ils ont souvent, mais pas toujours, réagi de façon très nette face à la question du pardon. Il sera question, los de cette session de la notion de blessure.

                Je voudrais encore dire que j’ai été particulièrement touchée par le travail qui se fait à Weimar et par lequel on dénonce la barbarie mais qu’une question m’a particulièrement interpellée. Lors de la table ronde qui eut lieu en novembre, des germanophones ont posé une question essentielle et à laquelle il était vraiment délicat de répondre : les déportés sont-ils devenus sensibles à la langue allemande ? Il ne faut pas négliger le pathos du peuple allemand aujourd’hui et le sentiment de culpabilité que porte la troisième génération. Il est donc très urgent de resserrer les liens, c'est-à-dire d'avoir un programme davantage orienté vers l'apprentissage de l'allemand, soutenant davantage les Goethe Instituts, notamment mais pas seulement, et de travailler ensemble car cette culpabilité là est également une blessure. 

                Citephilo a pu conduire à une compréhension d’enjeux importants et ce grâce à la traduction magnifique d’Agnès Triebel qui était venue avec Floréal Barrier, ancien déporté de Buchenwald. (cf. archives sonores de citephilo). On aura également apprécié l’entretien avec Emmanuel Jaffelin venu parlé de… la gentillesse ! Le concept semble être dissonant avec l’actualité, c’est-à-dire s’il est essentiel. Parler de la gentillesse sur fond de guerre économique semble tellement dérisoire !

Voilà donc, ici et là, quelques unes des sollicitations qui nous ont été adressées et auxquelles nous avons pris  soin de répondre. Alors, me sera-t-il permis d’espérer que 2012 soit une année propice au tissage de la paix, au travail en commun, une année où les solidarités sauront être efficaces.

C’est dans cet esprit, très fidèles lecteurs et chers amis, que je vous adresse mes meilleurs vœux,

Bien à vous,

Cathy Leblanc.

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28 décembre 2011 3 28 /12 /décembre /2011 08:50

Mes chers amis et très fidèles lecteurs,

Tout d'abord je vous remercie de l'intérêt renouvelé que vous témoignez à ce modeste blog et me tiens à votre disposition pour toute question. Le dernier article à propos de la résistance dans les camps a suscité un commentaire très élaboré et documenté de Madame Marie-France Reboul, aussi ai-je tenu à le faire figurer comme article et non comme simple commentaire. Madame Reboul me pardonnera de ne pas avoir publié toutes les photos mais le format de ces pages m'oblige à limiter le poids des articles. Nous reviendrons sur la réflexion portant sur la souffrance et la compréhension de la souffrance. Pour le moment, je vous souhaite une très bonne lecture. 

Bien à vous,

Cathy Leblanc

 

 

Résister par l’art dans le complexe concentrationnaire de

Buchenwald, Mittelbau-Dora et Kommandos

 

Marie-France REBOUL

2 arbre de Goethe René Salme (1) 

 

Au XXIème siècle, il est dit que nous allons passer de L’ère du témoin(1) celle des historiens. C’est sans compter les dessins faits par les déportés au cours de leur déportation, contemporains de celle-ci.

Trente artiste, 28 hommes, 2 femmes(2), ont dessiné dans le complexe de Buchenwald, sur 238 000 déportés hommes et 30 000 déportées femmes, presque tous des déportés résistants.

 

Que signifie l’acte de dessiner pendant la déportation ? Relève-t-il de l’art ? 0001Le petit camp en février 45 Taslitzky - Copie

 

Dessiner au camp pour témoigner et survivre ?

 

Les déportés étaient soumis à des épreuves communes : la faim, l’humiliation, les souffrances, la déshumanisation, la mort. Les dessins qu’ils ont réalisés sont pour beaucoup de l’ordre du témoignage et ils l’entendaient ainsi. Léon Delarbre, peintre résistant, « comprit tout de suite que son talent lui imposait un nouveau devoir. Il comprit qu’il devait tenter de rapporter un témoignage précis et objectif de cette vie monstrueuse et incroyable, pour que ses croquis sur le vif pussent fixer l’empreinte irréfutable d’une barbarie à ce jour sans exemple » témoigne Pierre Maho, son camarade de déportation à Dora.

Ces dessins sont des « j’accuse » visuels ce qui explique qu’ils soient soutenus par la résistance intérieure du camp de Buchenwald mais ils ne sont pas réductibles à la seule dimension de témoignage.

 

Dessiner est une réaction personnelle, une nécessité intérieure pour maintenir un lien avec son identité : «  je suis dessinateur, peintre et non le matricule x ; je dessine et je laisse une trace de moi-même qui me survivra même si je péris. » Dessiner est une résistance spirituelle contre la déshumanisation, un moyen de survivre. On peut penser que cette activité a aussi un effet cathartique : les déportés dessinateurs ont besoin d’exprimer la peur et la douleur pour prendre une distance par rapport à la réalité.

 

Les sujets représentés

 

42Conversation dans le block 34, Boris Taslitzky (1)Les dessinateurs représentent le camp mais surtout la vie dans les blocks, les repas, les conversations, le sommeil dans les châlits, l’infirmerie, les activités des dimanches après-midi, les latrines, lieu de rencontre, mais également le travail, à la carrière de Buchenwald (Favier) par exemple, dans le tunnel de Dora (Delarbre). Des fresques ont également été peintes sur certains blocks à la demande des kapos comme à Ellrich.

Les dessins les plus nombreux sont les portraits des camarades, échange vital pour le dessinateur - pour moi, vivre c’est dessiner disait Taslitzky - et pour le sujet car son portrait était la possibilité de laisser une trace. En échange, on nous offrait une pincée de tabac, ou une cigarette, ou une poignée de main, écrivit Favier(3). Le regard de l’autre, le dessinateur, rend au dessiné son essence humaine : il n’est plus un numéro matricule, ein stück.

Le sujet dominant est donc l’homme, l’homme survivant mais aussi l’homme mort. Léon Delarbre a représenté des scènes de pendaison, Schulz des scènes de torture.

A la Libération, nombreux sont les dessinateurs qui ont représenté les tas de cadavres devant le four crématoire. Volonté de représenter les morts pour leur donner une sépulture quand les nazis, après avoir brûlé les livres, brûlaient aussi les hommes signifiant « ils n’ont jamais existé » ; volonté de rappeler que le corps était le seul lieu de la douleur, de la mémoire de cette douleur.

 

Art ? 29Portrait de Boris Taslitzky par Jefimenko (1)

 

Pour les dessinateurs, il s’agit bien de faire un dessin artistique. Ecoutons Boris Taslitzky  il ne peut pas venir à l’esprit d’un artiste normalement constitué de dire « aujourd’hui, je fais un dessin de témoignage » et puis une autre fois « je fais un dessin plus artistique ». Il parle de son regard « émerveillé »(4) lorsqu’il découvre le petit camp à son arrivée « une véritable Cour des miracles comme au Moyen-Âge »(5) en raison de la couleur et du caractère hétéroclite des vêtements (il y a des annotations de couleurs sur ces croquis comme sur ceux de Fosty, Goyard et Favier). « L’horreur peur avoir une beauté plastique »(6) ajoute-t-il comme le peintre Music, déporté à Dachau, parle de « la révélation soudaine d’une beauté tragique »(7) face aux cadavres empilés. Pour eux, le vécu est un objet de beauté qu’ils cherchent à transmettre en provoquant un choc émotionnel. 50 Le revier, Henri Pieck

 

Opposer témoignage et art n’a pas de sens. Tous les artistes sont des témoins. Rappelons-nous Goya écrivant sur un dessin de Les horreurs de la guerre « yo le he visto » (je l’ai vu) avec la différence que Goya était un témoin extérieur tandis que les dessinateurs déportés éprouvaient dans leur chair et leur esprit ce qu’ils représentaient.

 

On ne peut pas dire qu’il y a un art concentrationnaire en soi, mais qu’il y a autant de rendus des camps qu’il y a d’auteurs. Ces œuvres clandestines sont à la fois des objets matériels,  presque des reliques.

Herbert Sandberg, déporté dessinateur, se résigne à l’impuissance de l’art quant à la représentation de la déportation « gravées dans la pierre, dessinées ou écrites, les représentations données du camp ne montreront jamais qu’un minuscule fragment de  l’évènement monstrueux, elles ne seront que des exemples, que des images, des instantanés ou des échantillons de l’enfer qui s’est déroulé pendant dix ans.»

Nous nous retrouvons ici devant le sentiment éprouvé par les déportés rescapés : nul autre qu’un déporté peut comprendre ce que fut la déportation. Mais ces œuvres artistiques sont susceptibles de toucher les non-déportés pour leur faire, au moins, ressentir ce que fut un camp nazi. 35 L'appel, au fond le crématoire, Goyard (1)

Représentations plastiques, elles sont indispensables pour aborder la déportation, elles sont un cri de l’art pour «  restituer l’impossible figuration de l’horreur ».(8)

Chaque dessin ou peinture renvoie à une chose infinie, ouverte. Au-delà se trouve ce qui n’est pas montré.   Je vous laisse écouter le cri du déporté.

 

 

Hurlement 001

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 

                                                  


 

 

 

 

 
Légende des photos :
1. L'arbre de Goethe, René Salme
2. Le petit camp en février 1945, Taslitzky
3. Conversation dans le bloc 34, Taslitzky
4. Portrait de Boris Taslitzky, Jefimenko
5. Le Revier, henri Pieck
6. L'appel, au fond le crématoire, Goyard
7. Le hurlement, Konieckzny

Notes :

1) L’ère du témoin, Annette Wieviorka, Hachette Littératures, Pluriel, 1998.

2) Chiffres donnés par la Dr Donja Staar, responsable du département Art, au mémorial de Buchenwald.

3) Auguste Favier, préface à Buchenwald, scènes prises sur le vif des horreurs nazies, Lyon, Imprimerie artistique en couleurs, 1946.

4) L’atelier de Boris, film de Christophe Cognet

5) ibid

6) ibid

7) Jean Clair, La barbarie ordinaire, Music à Dachau, Gallimard 2001, page 32.

8) Christophe Cognet

 

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18 décembre 2011 7 18 /12 /décembre /2011 10:54

Chers amis, fidèles lecteurs,

 

Le thème de la résitance dans les camps a suscité quelques réactions et commentaires dont un courrier du Professeur Karl Thyr, qui était venu parler de Frankl au colloque sur le pardon. Monsieur Thyr nous envoie quelques citations très importantes qui montrent la détermination des prisonniers à maintenir coûte que coûte leur éthique, leur orientation, leurs résolutions et par quels moyens ils parviennent à ne pas devenir le simple instrument de leurs fossoyeurs. Je reprendrai ces réflexions dans mon cours de philosophie des droits de l'homme qui porte cette année sur le thème de la dignité humaine.

Voici donc l'envoie de Monsieur Thyr qui doit rencontrer tout prochainement la veuve de Frankl. Monsieur Thyr me propose également de rendre visite à cette dame, ce que je ferai probablement lors d'un voyage au second semestre. Si vous aviez des questions particulières à me transmettre, je me ferai un devoir de les poser ou de les transmettre à Monsieur Thyr si je ne peux adapter mon emploi du temps.

 

Explications et citations envoyées par Monsieur Thyr :

 

ll faut distinguer le camp de détention de Theresienstadt où un groupe de juifs courageux et engagés (dont Frankl et le rabbhin Léo Baeck) ont organisé des conférences sur des thèmes entre autres philosophiques ou religieux ou aussi des réunions de lecture ou de musique – tout cela plus ou moins en cachette, en (grande partie) illégalement. Les Nazis n´ont pas pu priver les détenus de la liberté de participer à une vie intellectuelle et culturelle.

 

Quelques phrases tirées de « En dépit de tout, dire oui à la vie – les expériences vécues par un psychiatre dans un camp de concentration ». (Dans : Viktor Frankl, Découvrir un sens à sa vie, Les éditions de l´homme, 1993)

 

« Ceux qui ont vécu dans les camps se souviennent de ces prisonniers qui allaient, de baraque en baraque, consoler leurs semblables, leur offrant les derniers morceaux de pain qui leur restaient. Même s´il s´agit de cas rares, ceux-ci nous apportent la preuve qu´on peut tout enlever à un homme excepté une chose, la dernière des libertés humaines : celle de décider de sa conduite, quelles que soient les circonstances dans lesquelles il se trouve. Et nous avions constamment à choisir. Il nous fallait prendre des décisions sans arrêt, des décisions qui déterminaient si nous allions nous soumettre ou non à des autorités qui nous menaçaient de supprimer notre individualité et notre liberté spirituelle, qui déterminaient si nous allions ou non devenir le jouet des circonstances et renoncer ou non à notre liberté et à notre dignité pour devenir le prisonnier ‘idéal’. », (p.81)

 

« Les manifestations religieuses, au camp, étaient tout à fait authentiques. Les nouveaux venus étaient souvent frappés par l´intensité de la foi des prisonniers… » (p. 52)

 

La pensée à une personne aimée : « Nous marchions dans le noir… Les gardes, qui ne cessaient de crier, nous faisaient avancer à coups de crosse…

Nous marchions, dérapant sur la glace… Je me mis à penser à ma femme… Mon esprit était tout entier habité par le souvenir d´elle… Je l´imaginais avec une précision incroyable. Je la voyais. Elle me répondait, me souriait, me regardait tendrement… J´avais enfin découvert la vérité, la vérité telle qu´elle est proclamée dans les chants des poètes et dans les sages paroles des philosophes : l´amour est le plus grand bien auquel l´être humain peut aspirer… Je ne savais pas si ma femme était toujours en vie et je n´avais aucun moyen de le savoir ; mais cela n´avait aucune importance…Rien ne pouvait me détourner de mon amour, de mes pensées et de l´image de ma bien-aimée. »(p. 54/55/56)

 

« Etait-il possible de se livrer à des manifestations artistiques dans un camp de concentration ? Cela dépend de ce qu´on entend par ‘art’. De temps à autre,

les prisonniers improvisaient une sorte de cabaret… histoire de rire ou de pleurer parfois ; bref, d´essayer d´oublier. On chantait des chansons, on récitait des poèmes, on se racontait des blagues ou on tenait des propos satiriques sur le camp. Tout cela pour oublier notre sort pour quelques instants. » (p. 58)

 

« …l´humour était une arme défensive très efficace. On sait que l´humour aide à garder une certaine distance à l´égard des choses et il permet de se montrer supérieur aux événements, ne fût-ce que pour quelques instants. Je m´étais ingénié à développer cette faculté chez un ami avec qui je travaillais sur un chantier de construction. Nous nous étions promis d´inventer au moins une histoire amusante par jour, dont le sujet devait être basé sur ce qui allait nous arriver après notre libération ». (p.60)

 

 

 

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16 décembre 2011 5 16 /12 /décembre /2011 13:41

La résistance dans les camps, la menace et la liberté psychique

Le musée de la résistance de Bondues, dans le Nord, près de Lille, offre en ce moment une passionnante exposition sur le thème de la résistance dans les camps. On y montre et on y explique comment elle s’organisait, ce qu’elle supposait, mais aussi le danger supplémentaire auquel s’exposaient ceux qui avaient l’immense courage de vouloir lutter, en situation d’extrême menace, contre le système qui les contraignait aux conditions que l’on sait.

Et puisque je suis philosophe, ma question sera métaphysique ou existentielle : comment ces déportés, dans l’état où ils se trouvaient réduits, pouvaient-ils disposer d’une liberté psychique suffisante pour penser la lutte contre un système qui les privait de leur humanité, c’est-à-dire non seulement de leur liberté d’action, de leur liberté physique mais aussi de leur liberté psychique puisque la menace de l’exécution devait nécessairement entraîner l’obsession : une pensée obsédante, planant comme une ombre au dessus de leur vie : « la trouille, la vraie ». Ceci nous amène aussi à nous demander quel rapport les déportés entretenaient vis-à-vis de la peur quand la peur vient modifier fondamentalement la temporalité et qu’elle installe le sentiment que quelque chose est « insupportable » et, par conséquence aussi l’ennui profond (cf. Heidegger sur la définition de l’ennui).

Je me demande donc comment ils réussissaient, par exemple, à dessiner tel Boris Taslitzky dont les dessins portent le sceau d’une patience sans limite : ce ne sont pas de simples esquisses dessinées à la hâte mais des dessins soignés, précis, allant rechercher en autrui, chez l’autrui en souffrance, l’expression qui le caractérise essentiellement pour l'éterniser. On dispose ainsi d’un dessin intitulé « attitude d’un camarade dont le moral baisse ». Je ne peux dire à quel point je suis interpellée par ce dessin dans la mesure où, étant lui-même sous le joug d’une menace infernale, Boris Taslitzky réussit néanmoins à regarder autrui, à éprouver pour lui de la compassion, et surtout à rester attentif à tout signe qui risque de le mener au trépas, si rien n’est fait pour soutenir le dit camarade. Il réussit aussi, nous ne pouvons en douter à éprouver le plaisir de l’application dans le soin qu’il place dans ses dessins.

Lors d’une rencontre avec l’Association Buchenwald, Dora et Kommandos, j’avais écouté des bribes d’explication, de souvenirs, et ceux qui se nomment eux-mêmes « les déportés » parlent toujours de leurs souvenirs, un peu comme si eux aussi portaient la marque de l’obsédante présence de la menace qui les accompagnait, obsession contre laquelle ils ne peuvent lutter. La seule possibilité dont ils disposent est d’être forts, et de transformer le souvenir obsédant en témoignage, en travail utile. Ceci me fait aussi comprendre que l’essence de la menace est sans doute l’obsession : une présence qui vient occulter le présent par ce qu’elle représente. Et ceci me rappelle également une réflexion que j’avais développée à propos de l’ostinato à la main gauche dans le Prélude à la goutte d’eau de Chopin lors d’une conférence-concert que je donnais en mars sur demande de collègues psychologues et psychanalystes sur le thème de la douleur. J’avais conclu ou suggéré que cet ostinato à la main gauche représentait justement l’obsédante présence de la douleur et qu’il s’opposait en tout et pour tout à l’ostinato méditatif que l’on peut retrouver dans les préludes et fugues de Bach, notamment.

La question est donc celle du rapport à la menace. J’utilise ici le pronom personnel de première personne par référence au « moi » : comment puis-je protéger « mon » espace intime, ce que l’on appelle communément « mon » jardin secret face à une menace qui, dans le cas de la déportation, porte les stigmates de la destruction ? Comment devient-il possible de se concentrer sur un dessin, sur l’attention qu’on prête à autrui, sur ce qui constitue ses dons, sa personnalité, quand on est fondamentalement menacé en son être ?

Ce travail de culture de la liberté s’apparente-t-il à un exercice spirituel ? L’exercice spirituel, quelque soit la forme qu’il prenne, ne permet-il pas de cultiver cet espace personnel, espace à partir duquel il devient possible de penser autrui, d’aider la communauté et de se réaliser soi-même, actualisant ainsi sa liberté en refusant de se résigner ? 

Je voudrais encore dire qu’il est manifeste que « les déportés » ont travaillé à la culture de cet espace intime à partir duquel ils pouvaient penser l’autre et la communauté, et la profondeur qu’ils ont ainsi creusée les amène aujourd’hui à pouvoir délivrer, sans avoir étudié la philosophie, une parole hautement et éminemment philosophique.

Et je pense que seul cet espace intérieur qu’ils ont su protéger telle une forteresse, leur a permis de trouver la force, le courage, l’espoir nécessaire pour organiser la résistance dans les camps, au péril de leur vie. C’est dire toute l’importance de cet espace là sur lequel il conviendrait de travailler et que l’on décrit de façon très différente selon les disciplines.

N’est-ce pas cet espace là qui permet à l’enfant de mentir quand il désire fortement quelque chose qui lui est interdit ? Il saura alors mettre en œuvre toutes les stratégies possibles et imaginables pour protéger son désir. Je pense aussi à un ami aujourd'hui décédé qui était si fier d'avoir bravé l'impérieuse autorité maternelle pour apprendre la musique au concervatoire quand sa mère, voulait qu'il devienne maçon. Cet espace intime, intérieur est-il inné ? Il apparaîtrait très tôt dans la construction de la personnalité. (cf. également Kant sur le droit de mentir). 

Un collègue m’a récemment proposé de travailler avec des anciens prisonniers de camps du Vietnam-Nord, sur le thème de la privation de liberté psychique. Dans le cas du Vietnam, on mettait en œuvre des techniques visant au lavage de cerveau, et à la torture psychique. Ceci n’est pas très différent même si l’intensité et l’intentionnalité n’ont rien à voir, avec les techniques de certaines sectes aujourd’hui qui transforment leur proie en véritable zombis et ce sont souvent des jeunes gens qui en font les frais. Je me souviens d’une étudiante complètement absente du cours, qui était ainsi embrigadée dans un jeu de rôle qui occultait la réalité. Peut-être une bonne paire de claques l’aurait-elle aidé à redescendre, c’est en tout cas ce que je n’ai pas osé faire. Faut-il alors penser que la technique d’endoctrinement du National Socialisme, qui a quand même réussi à emprisonner des millions de personnes dans sa « pensée », reposait sur ce type de mécanisme ?

J’avoue que ce thème m’intéresse beaucoup et que c’est à partir de conditions extrêmes de déshumanisation que l’on comprend le mieux en quoi consiste le monde, la vie. Ma spécialité étant l’ontologie, et étant donné que nous avons ici affaire à une privation totale de monde, je trouve passionnant de se demander comment on peut non seulement soulager la souffrance mais reconstituer du monde dans le respect des déterminations intimes. C’est ici que l’éthique intervient. De la même manière, lors du colloque que j’avais organisé en mars dernier sur le thème du pardon, nous avons pu réfléchir à la façon dont les victimes des pires souffrances, privées de leur humanité, peuvent se représenter aujourd’hui le pardon, à quel niveau, comment ils se positionnent face à l’impardonnable ou à l’irréparable, voire au désir de vengeance. Ceci se résume en une question plus générale : après la privation totale et essentiellement injuste d’une détermination essentielle, comment cette détermination refait-elle surface ? Selon quelles modalités ? Comment la restaurer ?

Nous trouverons beaucoup d’éléments sur la constitution du monde, sur ce en quoi consiste le monde ambiant, notamment, dans toute l’œuvre heideggerienne et dans le courant de la Daseinsanalyse qui a suivi cette œuvre et qui fut, à l’origine, représenté par Biswanger. C’est tout le problème de la construction psychique, construction dont il semble qu’elle repose essentiellement chez Frankl sur la parole. Mais le fondement de tout ceci ne reste-t-il pas l’ontologie qui n’est peut-être pas seulement l’affaire de la parole…d’où le lien entre indicibilité et réalité vécue.

Le débat est ouvert. Que les nombreux et fidèles lecteurs de ce blog se sentent libres de rédiger des commentaires ou même, comme certains le font et je les en remercie, de m’envoyer un mail avec leur réflexion ou leurs questions. Je rappelle mon adresse : cathy.leblanc2@wanadoo.fr

Les étudiants qui n’ont pas encore de sujet trouveront peut-être ici un thème qui pourra les intéresser.

A chacun, chacune, je souhaite d’excellentes vacances et des fêtes de fin d'années aussi agréables et chaleureuses que possible.

Cathy Leblanc.

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11 décembre 2011 7 11 /12 /décembre /2011 09:31

 

« Indésirables »

Il est bien singulier que les concepteurs des boîtes mail aient pensé à la catégorie « indésirables » : les publicités, les spams, les lettres souhaitant nous mettre au courant de dangers politiques, les appels de personnalités inconnues de l’autre bout du monde nous requérant l’usage d’un compte en banque où ils pourraient déposer un héritage menacé par une guerre civile ou autre, etc. etc. Il est difficile de dresser une typologie tant les envois dans cette partie de la boîte mail deviennent nombreux. On les nomme « indésirables ».

Et c’est bien une catégorie cérébrale qui pourrait jeter les indésirables dans une petite boîte sans importance, dont nous aurions besoin quand nous lisons, dans l’actualité tout ce qui vient ravager notre monde : la guerre économique, menace de toutes les menaces et dont on nous rabat les oreilles à longueur de journée, les agressions de tous genres, les scandales politiques, etc. etc. et, cerise sur le gâteau, des faits qui, il y a encore quelques années auraient été classés dans la catégorie « science fiction ».

Je lisais ainsi hier, sur ma page d’accueil « orange », qu’un laboratoire néerlandais avait mis au point une souche de virus bien plus dangereuse que tout ce que l’on connaît jusqu’à maintenant, y compris l’anthrax. Cette fois, semble-t-il , nous avons atteint les sommets de l’indésirables et de la menace.

On ne devrait donc plus parler d’information, là où le terme information devrait être neutre et proposer aussi des faits qui viennent montrer le progrès de nos civilisations. Mais au lieu de cela, les dites informations relatent irrémédiablement quelque chose qui pourrait s’appeler « nouvelles menaces » ou « les nouvelles menaces du jour ».

Je m’interroge depuis un certain temps sur cette tonalité de l’information, du monde ambiant vu comme menace ou danger et je me demande pourquoi il semble si facile à l’homme de développer son propre pouvoir de destruction. Cela incombe-t-il à la nature humaine de pourvoir à sa fin ? Une autre façon de poser la question serait de dire : « Pourquoi nous intéressons-nous tant à ce qui est indésirable quand pourtant nous avons à portée de main, de quoi construire un monde désirable qui viendrait flatter notre humanité et serait source de bonheur ? » En d’autres termes : de quoi notre monde manque-t-il pour vouloir construire du désirable ?

On pourrait alors imaginer une nouvelle catégorie dans notre boîte mail, la catégorie du désirable : on y rangerait les bonnes nouvelles, les encouragements, toutes les informations qui nous facilitent la vie et l’action, toutes les informations qui montreraient la bonne volonté des uns et des autres à rendre le monde simplement plus vivable.

De quel type d’éducation a-t-on besoin pour s’orienter dans cette direction ? Comment lutter contre ce qui s’apparente à une paranoïa ambiante et grandissante, à juste titre, d’ailleurs puisque ces menaces sont réelles, en termes d’éducation ? J’avais proposé, il y a quelque temps, un billet sur le thème de l’éducation du citoyen et il me semble aujourd’hui urgent de veiller à développer au sein de notre communauté humaine, l’espace du désirable.

En effet comment est-il possible d’espérer réussir quand déjà, par la tonalité dispensée par l’information, nous faisons le deuil de ce que nous sommes en droit de vouloir désirer et de pouvoir obtenir ? Ne devons-nous pas veiller avant toute chose à préserver notre volonté du désirable, c’est-à-dire notre volonté de désirer pour nous donner les moyens de construire un monde meilleur ? Comment penser une telle éducation ?

Le débat est ouvert.

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10 décembre 2011 6 10 /12 /décembre /2011 11:32

 

Nous avons longuement réfléchi à ce qui constitue la vérité : l’adéquation parfaite entre deux choses, la réponse logique à une question, et, ce qui nous a paru le plus important et intéressant à la fois : le sentiment profond que l’on a de ce qui est vrai et qui indique la vie authentique.

Les exercices spirituels tels qu’ils sont pratiqués dans la Grèce antique, notamment, conduisent à une connaissance toujours meilleure au fur et à mesure qu’ils sont pratiqués, de l’intériorité. Ils m’amènent à savoir si ce que j’éprouve est conforme ou en écho à mon essence. En ceci, nous avons dit qu’ils appartenaient sans doute davantage au champ de l’ontologie ou de la psychologie, qu’au champ de l’éthique qui repose sur une norme et met en œuvre d’autres mécanismes. Non que l’éthique soit essentielle mais la connaissance de soi n’apparaît pas d’abord comme une chose éthique. Elle est d’abord psychologique et ontologique.

C’est pour cette raison, que Lacan dès le début de son séminaire de 1956 précisera qu’en matière de psychanalyse, on ne doit pas juger. Le jugement moral n’est pas du même ordre que la sensibilité, ce qui amène l’un à vibrer pour une chose, l’autre à vibrer pour une autre. L’écoute du monde, de son intelligence nous amène à construire un sens qui est adapté à notre sensibilité, à notre pouvoir de connaître (pour reprendre un terme kantien), à nos attentes aussi.

Alors, nous nous sommes demandé si ce sentiment profond et intense que l’on a de ce qui est vrai et qui nous guide dans la vie authentique est de l’ordre d’une croyance. Si Descartes soutenait dans les méditations métaphysiques que nos sens peuvent nous tromper, et en venait ainsi à l’argument du rêve : qu’est-ce qui me prouve que je suis bien dans la réalité et pas dans un rêve ?, la conclusion à laquelle il aboutit est encore d’ordre sensible : c’est l’intensité de ce sentiment, qu’il nommera « la certitude sensible », qui indique la vérité. L’intensité du sentiment du vrai devient le signe de sa présence. La vérité serait donc bien d’abord l’affaire de la sensibilité et ne serait pas complètement étrangère sinon à la croyance, du moins à la notion d'adhésion.

La preuve d’une situation inauthentique est alors le résultat d’un ressenti ou d’un intuitionner  qui a ouvert tout au long du XXème siècle sur le thème de l’errance métaphysique ou de la désolation (cf. aussi chez Heidegger la notion de dévastation). L’inauthenticité reste principalement responsable de la rupture du sens et probablement qu’il conviendrait, dans tout le travail sur la déportation d’analyser les modalités de rupture du sens quand l’emprisonnement constitue fondamentalement une violation, une privation et une destruction du sens.

A titre de remarque, je préciserai encore qu’un étudiant qui suit un chemin qu’on lui prescrit ou qu’il se sent contraint de choisir et auquel il ne sent pourtant pas destiné est plongé malgré lui dans une situation elle aussi inauthentique qui ne peut mener au succès. Peut-être le problème de l’alcoolisme chez les jeunes est-il à relier partiellement à cette absence de cohérence.

Et il faudrait s’interroger sur les séquelles produites par le mépris qui est à l’œuvre depuis bien des années maintenant, vis-à-vis du travail dit « manuel ». Je suis toujours tellement désolée de voir des étudiants, des étudiantes arborer leur inscription universitaire sans avoir pour cela de motivation et quand pourtant ces mêmes étudiants possèdent des dons qui les amèneraient à développer toute leur créativité et à entrer dans la vie active avec un projet authentique et toutes les garanties du succès.

Il convient alors de se demander quel est le rôle de la raison dans ce cheminement vers la vérité, vers cette certitude sensible, le sentiment profond et intense du vrai. Si le sens est guidé par les sens, par la sensibilité, c’est certainement la raison qui permet à la conscience de se diriger vers lui. Et c’est là tout l’enjeu d’une éducation véritable et désintéressée, d’une éducation ferme mais sans emprise, d’une éducation ouverte mais soucieuse de construire la constante cohérence d'une mesure prise entre l'objectif proposé et les dispositions à portée de main.

La philosophie moderne, mais aussi la philosophie antique évoquent la ruse de la raison car si la raison peut être toute puissante, encore qu’il soit nécessaire de reconnaître la prédominance du sens et de son paradigme, c’est encore la raison qui peut construire, avec toute l’intelligence qu’elle possède, une vision du vrai ou une illusion du vrai. Ceci nous amène à poser de nouveau la question de la certitude sensible : comment notre capacité à éprouver ce sentiment profond et intense de la vérité peut-elle nous aider à éviter la ruse de la raison ?

Là encore, je dirais que l’épreuve de l’inauthenticité ne peut conduire à ce qui résulte du constat dressé par la certitude sensible et dont le signe manifeste est la Joie.

Pour reprendre l’exemple de l’étudiant que je prenais tout à l’heure, l’illusion ne dure qu’un temps. Si l’on peut être fier d’avoir sa carte et de s’être dirigé, dans un contexte donné et pour des raisons diverses, étrangère à sa volonté propre, dans une voie intellectuelle quand cette voie n’est pas nécessairement celle qui lui répond à ses aspirations profondes et surtout intimes, alors, ce n’est pas toute la force de la joie quiportera, mais l’effort constant, la peine, le labeur incessant, la peur de l’échec, la solitude, et des tonalités affectives très négatives. Je ne fais pas ici la critique de l’effort, il est nécessaire pour réussir et se dépasser, mais je souligne la conséquence de l’engagement dans une voix inauthentique qui ne serait pas le résultat d’un choix véritable. (Je m’inquiète aussi beaucoup du taux d’échec des étudiants à l’Université aujourd’hui).

Cette Joie là, la joie d’être dans sa voie, la joie d’être dans l’authenticité, de pouvoir vivre des choses profondes, et en éprouvant un constant plaisir, est à mes yeux essentielle car c’est une Joie qui se communique, qui se transmet, qui porte, qui permet la solidarité, qui permet le bien être ambiant, qui est à elle seule garante pour celui qui l’éprouve et pour ceux qui l’entourent, de possibilités et un bonheur décuplés. Elle seule peut permettre de transmettre ce qui transcende à ceux qu’elle peut toucher ou approcher.

On retrouve alors tout le sens de l’Ethique qui consiste à placer autrui dans l’idéalité de sa représentation et de lui faire le don de ce qu’il y a de plus noble, de plus beau, de plus précieux, de plus fort, c'est-à-dire aussi de ce qui transcende. Pouvoir transmettre ceci est une chance sans égale. Et constater que l'on touche alors, par ce don de cela qui nous trancende et nous comble nous-même de joie, constater le bonheur de ceux qui le reçoive, c'est alors vivre dans un monde merveilleux et avoir la grâce de pouvoir le partager.

                                                                *      *      *

Des commentaires très intéressants sont envoyés. Vous pouvez les consulter, ils sont publiés. Pour accéder à l'article et aux commentaires à partir de la page d'accueil de ce blog, vous pouvez aussi taper  www.cathyleblanc.fr

 

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6 décembre 2011 2 06 /12 /décembre /2011 16:06

A l’approche des fêtes de fin d’année et parce que leur préparation met en œuvre un cruel contraste entre d’une part les happy fews qui ont la chance de célébrer et les autres, les déshérités, les malheureux, les solitaires, les vagabonds, les prisonniers, les malades, etc. etc., j’aimerais entamer ici une réflexion sur la compréhension et son rapport à la souffrance.

Peut-on comprendre la souffrance d’autrui ? Qu’est-ce que comprendre la souffrance sinon s’engager ? Oui, mais alors, cet engagement n’a rien d’un engagement rationnel, d’un engagement qui suit seulement la voix de la raison. Il s’agit d’un engagement résultant de cela que le cœur ait su entendre, ait voulu écouter un cri venu de nulle part, un cri envoyé par quiconque.

Alors si nous voulons parler de compréhension, il faut prendre ce terme dans toute l’amplitude de son sens : la compréhension prend son objet avec (cum) elle et s’engage dans ce lien. Elle se rend ainsi toute disponible alors que par cette disponibilité elle allège une souffrance qu’elle a seule pu entendre, écouter, cette souffrance là étant bien souvent cachée, dissimulée, enfouie au creux de nul lieu. L’indicible. Le merveilleux résultat auquel elle peut s’attendre est une forme de réhabilitation de l’homme en l’homme, de la vérité de l’humain en l’humain, c’est-à-dire le retour à une jouissance pour l’être ayant souffert de ses pleines capacités émotionnelles et intellectuelles, de ses capacités à espérer, à construire, de ses capacités à vaincre l’usure du temps, à vaincre l’amertume, de ses capacités à demeurer dans la pleine essence de son humanité.

Vouloir pour quelqu’un un tel projet, c’est aussi l’aimer, mais c’est amour-là, cet amour désintéressé se situe bien au-delà d’un attachement ordinaire ou même d’un rapport de possession car nul n’appartient à personne qu’à lui-même, et encore…  Et s’il incombe à l’éthique de dicter quelque chose, alors cette chose peut-elle différer d’un respect complet, intégral, vis-à-vis de ce qui devant elle, manifestement, se réalise ? Peut-elle différer d’un laisser-être de cette réalisation qui nécessite alors de toute urgence que le contexte se recompose, s’adapte, s’accommode, en vue de cette essentielle liberté sans vouloir la comprimer, la contraindre, la meurtrir, la torturer.

Il est bien des situations où quelqu’un, quelqu’une saura entendre cette souffrance : en société, dans la rue, dans un cercle d’amis, dans une réunion, etc. Il est également bien des situations où personne ne la verra et où, pour reprendre ce que je disais à propos de l’indifférence, cette souffrance là restera lettre morte, enfouie profondément sous l’apparence d’un beau tableau tout comme le cri qu’elle peut lancer restera à jamais en silence.

Mais notre humanité ne consiste-t-elle pas d’abord à écouter, à nous rendre disponible, à laisser être la réalisation lumineuse des êtres qui ainsi nous entourent et savoir ensuite, nous émerveiller qu’ils aient pu renaître à eux-mêmes, dispensant autrement toute l’humanité dont ils deviennent alors garants ?

 

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29 novembre 2011 2 29 /11 /novembre /2011 17:54

 

S’il est un principe qui caractérise le monde moderne et la pauvreté à la fois matérielle et spirituelle qui le frappe, c’est bien l’indifférence, le manque d’égard, le manque respect. Et ce que je propose aujourd’hui dans cet article, c’est de nous demander sur quoi reposent tant de manques et de quoi ils sont le symptôme. Cette réflexion s'inscrit dans la problématique de la lutte contre les barbaries.

Qu’est-ce donc que l’indifférence sinon, la capacité de ne pas reconnaître autrui tel qu’il devrait l’être, de ne pas le reconnaître selon l’être éthique qu’il représente et aller jusqu’à le considérer comme absent ou nier son existence. Ce faisant, je refuse de considérer autrui comme capable de m’interpeler en mon humanité, et je refuse de ce fait mon humanité à autrui comme je me la refuse à moi-même.

Un tel manque n’est pas le fait d’un être libre qui peut à loisir faire porter son regard et son égard sur autrui dont la seule présence sollicite ces capacités morales. En effet, un être libre n’a pas à se retirer du monde pour ainsi dire, n’a pas à se voiler la face, pour vivre son humanité pleinement (refuser de voir la pauvreté, par exemple). La liberté de l’être libre est présente dans le monde et avec le monde. « Avec » est peut-être bien même ce qui le constitue essentiellement. Nous sommes des êtres les uns avec les autres. Nous vivons en co-présence dans un monde qui dès lors n’est plus violent. Mais l’altération de ce lien ou des modalités qui le définissent suffit à convoquer la pire des violences, à savoir la souffrance morale.

Nous sommes là dans le processus même de déshumanisation. S’exerce alors une non-reconnaissance d’autrui et de ce qu’il représente à divers niveaux (social, politique, affectif). Un être qui se déshumanise, qui dès lors, perd sa liberté, gagne aussi en violence puisque son rapport au monde ne consiste plus en la vision la totale de ce monde, mais une vision arbitrairement parcellisée dans laquelle il ne pourra pas se mouvoir à loisir ni espérer l’envol de son esprit dans ce vaste espace de la pensée et du cœur que peut être l’horizon poétique. La vie en petit.

Se pose alors la question du remède si à tout mal correspond un remède. Comment respecter autrui selon le lien qui s’est établit entre lui et moi sinon par le biais de ma responsabilité, responsabilité qui saura écouter ma conscience pour mettre en œuvre l’actualisation de ce lien. Savoir affronter la réalité de cette altérité, c’est donc aussi actualiser sa liberté et se donner les moyens de penser et d’agir grandement selon la vision d’un monde plus juste, plus vrai, plus digne et surtout beaucoup plus grand.

La dynamique discursive entre alors en jeu. Le dialogue avec l’altérité, forte de son identité et traitée selon son identité constitue la reconnaissance de ce qu’elle représente, restaure son existence. Par suite, il importe que l’écoute sache repérer ce qui par elle est interpelée pour fournir des réponses qui seront-elles-mêmes des interpellations capables de cultiver l’incessant va-et-vient qui construit le respect, la reconnaissance mais aussi la liberté.

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21 novembre 2011 1 21 /11 /novembre /2011 20:53

Chers amis,

Suite à la publication de mon dernier article qui visait à éclairer les jeunes qui s'intérrogent sur le sens à donner à leur existence à travers leur avenir professionnel, et donc sur cet avenir professionnel, j'ai reçu un courrier de Monsieur Karl Thir qui a participé au colloque sur le pardon que j'ai organisé en Mars dernière à Lille.

Je vous livre ce texte qui est une excellente traduction et une sélection très judicieuse de l'oeuvre de Victor Frankl. Le premier de ces extraits arrive dans le prolongement de la réflexion sur le choix professionnel. Le second texte porte plus spécifiquement sur notre responsabilité vis à vis du sens de notre existence. Je remercie très vivement Monsieur Karl Thir pour cette très pertinente contribution.

 

Extrait n° 1

L´homme n´est jamais – achevé – mais il est toujours en train de se faire, de devenir. Quant à l´homme il y a divergence entre l´être d´un côté et le pouvoir et le devoir de l´autre côté. Cette distance entre existence et essence est propre à tout être humain en tant que tel. Dans la mesure où c´est le sens de l´être humain de réduire cette divergence, de diminuer cette distance – en un mot : de rapprocher l´existence à l´essence il faut bien remarquer un fait : le fait qu´il n´est jamais question de « l´ » essence, par exemple de l´essence « de l´ » homme que l´homme devrait réaliser, représenter, mais que c´est, au contraire, de sa propre essence qu'il s'agit ; ce dont il est question, c´est la réalisation des valeurs qui est réservée à chaque individu.

La devise « deviens qui tu es » ne signifie pas seulement : Deviens qui tu peux et dois être – mais aussi : deviens celui qud seul toi peux et dois être. Il ne s´agit pas seulement d´être un homme, mais aussi d´être moi-même.

Si le sens de la vie consiste dans le fait que l´homme réalise uniquement sa propre essence, il va de soi que le sens de l´existence ne peut être que concret ; il est valable seulement ad personam – et ad situationem (car ce n´est pas seulement à chaque personne mais aussi à chaque situation personnelle que correspond son accomplissement de sens respectif).

La question du sens de la vie, on ne peut la poser que concrètement, et n´y répondre qu´activement : répondre aux « questions de la vie » signifie de toute façon en répondre, effectuer les réponses. (Viktor Frankl, Der leidende Mensch / L´homme souffrant)

 

Extrait n°2

Viktor Frankl (1905-1997), disciple des pères de la psychologie des profondeurs autrichiens Sigmund Freud et Alfred Adler, a forgé, sous l´influence de l´anthropologie philosophique de Max Scheler, dès 1927 sa propre psychothérapie, la logothérapie (thérapie à l´aide du « lógos » = sens [ancien grec]). Selon Frankl la motivation fondamentale de l´homme n´est ni la « volonté de plaisir » (qu´il attribue à la psychanalyse) ni la « volonté de pouvoir » (concept de l´analyse individuelle) mais la « volonté de sens ». En tant que « personne spirituelle » ou « personne noétique » l´homme dépasse la facticité de la dimension psycho-physique et peut être caractérisé par le terme « existence ». Comme existence, la personne est libre de choisir ses actes et par ses actes son avenir personnel - sur ce point, Frankl est d´ accord avec M. Heidegger et K. Jaspers qu´il a aussi rencontrés personnellement. Mais la personne est aussi responsable : responsable des possibilités de sens qui attendent que la personne les découvre et réalise. L´existence est donc ouverte sur le « logos », le sens. Mais ni l´homme ni le thérapeute ne peuvent inventer n´importe quelle signification, c´est seule la conscience morale qui peut intuitivement saisir le sens particulier – le sens d´une personne concrète dans une situation concrète qui varie de jour en jour et d´heure en heure. Le rôle de la logothérapie n´est pas de décider autoritairement du sens ou du non-sens d´une situation et de la valeur ou de la non-valeur d´une action, mais il consiste à encourager l´homme à se rendre compte de sa liberté et de sa responsabilité. Ainsi l´homme ayant trouvé un sens à sa vie peut mieux affronter les épreuves du destin, expérience que Frankl lui-même a faite dans les tourments de quatre camps de concentration (de 1942 à 1945).

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  • : Blog de Cathy Leblanc, professeur en philosophie à l'Institut catholique de Lille. Thèmes de recherche : la barbarie et la déshumanisation, la phénoménologie heideggerienne. Contact : cathy.leblanc2@wanadoo.fr Pas d'utilisation de la partie commentaires pour avis publicitaire svp.
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